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L’AMANCE DE MARCEL ARLAND

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Publié le 8 janvier 2016 , par THENARD Michel dans L’art et l’eau

D’Ouest en Est, l’Amance est une petite rivière qui prend sa source sur le territoire de Celsoy pour rejoindre la Saône à Cendrecourt (Haute-Saône). Elle coule au pied de Varennes-sur-Amance, terre natale de l’académicien Marcel Arland. Dans ses souvenirs d’enfance, ses écrits intimes, voire dans certaines de ses nouvelles, l’Amance est souvent présente, parfois nommée et souvent simplement décrite ou évoquée.


Pour l’écrivain, l’Amance donne son identité aux terres qu’elle irrigue, elle est la féminité qui fertilise sa vallée d’enfance. Dans un de ses derniers livres, « Mais enfin qui êtes-vous », Marcel Arland intitule un chapitre « Au pays d’Amance ». Le pays d’Amance a souvent été un refuge dans son enfance tourmentée et a ainsi formé un des soubassements de son œuvre. Loin de Varennes-sur-Amance, lors de la visite de concitoyens d’Amance à Brinville, Marcel Arland leur confiait fréquemment la mission de saluer le pays d’Amance pour lui. En grand paysagiste s’il a su parler de l’Auvergne, de la Bretagne et de la Sologne, il n’a jamais oublié son pays d’Amance.

Biographie : voir dans les notes [1]

Bibliographie : voir dans les notes [2]

« Je rejoins alors près du Moulin des Près les enfants qui gardaient leurs vaches. La rivière, longtemps étroite et gainée de roseaux, s’évasait devant un barrage, pour retomber en cascades. Jusqu’au bord, nous étions chez nous ; par delà, c’était l’inconnu. Une herbe plus sombre, mêlée à des joncs, marquait la place d’anciens étangs où l’on faisait jadis rouir le chanvre ; ils n’étaient pas tous asséchés et dès la tombée du jour les grenouilles s’y mettaient à chanter. Non loin s’ouvrait un trou d’eau claire et sans fond, que l’on appelait : « La fontaine de la Carrosse » parce qu’une nuit, disait-on, un carrosse, voiture, bêtes et gens, s’y était englouti. »
Terre natale (Gallimard, 1946)

Crédits: Michèle Bidaut
"Je rejoins alors près du Moulin des Près les enfants qui gardaient leurs vaches... et dès la tombée du jour les grenouilles s’y mettaient à chanter."

« ...Et voyez : je connais, je reconnais ce pays qui peu à peu se dévoile. Je le prends par ses détours ; je le nomme à ses chemins, ses maisons, ses églises, son air léger, son harmonieuse étendue, à cette rivière, l’Amance, qui le partage et le recompose. « Votre Amance ! - Pardon ? - Ah ! ces hommes qui ont leurs racines !  »

« Arrêtons-nous devant l’église (on n’y entre plus) – sur ce terre-plein d’où l’on découvre un demi-cercle de vallées et de bois. A gauche, c’est l’Amance, c’est toujours l’Amance (j’en suis sûr) et à droite, ce chemin qui s’enfonce entre les peupliers, savez-vous où il conduit ?
« Au bout du monde, n’est-ce pas ?
 »
Proche du silence (Gallimard, 1973)

« Je vous remercie de votre pensée. Elle me touche d’autant plus qu’elle vient (à travers Cannes) de Chézeaux, de l’Amance, - de mon enfance dans un pays qui m’est resté cher. […] …enfant, que de fois ai-je suivi l’Amance jusqu’à Chézeaux, un livre en main ou non, et le cœur dans l’eau, l’herbe, le ciel, les songes, l’attente… »
Extrait lettre de Marcel Arland à M. Th. Bermond-Rapin, 11 déc. 1976.

« Chézeaux, l’Amance, Presles, les deux Coiffy... toute la « terre natale ». J’y suis resté si attaché, et elle m’a si profondément marqué, que, parfois, depuis quelques années, j’éprouve une sorte d’angoisse à la revoir. C’est que la plupart de ceux que j’y ai connus sont morts. C’est aussi que nos villages ont plus ou moins changé, que beaucoup de maisons sont désertes ou tombent en ruine (surtout du côté de Bourbonne), et que j’ai brusquement l’impression que les morts y sont plus présents que les vivants. Et l’on me dit, à Varennes même, que les jeunes gens ne veulent plus rester là, mais ce qui demeure, ce sont les formes fondamentales et l’esprit de cette terre, qui est à la fois harmonieuse et libre. Je garde confiance...
Cher « Pays d’Amance » ! Chaque année, je reçois une dizaine de lettres de personnes (Français ou Étrangers) qui viennent de le voir pour la première fois et qui ont été profondément émues…
 »
Extrait lettre de Marcel Arland à M. Th. Brinville, le 25 juin 1977

Crédits: Michel Thenard
Le Pays d’Amance

« Déjà, voyez, c’est presque un autre monde. Ce sont de grands bois, des clochers sur les hauteurs, des vaches lentes et songeuses dans les enclos, de vieilles maisons à l’écart des routes. – Il me semble que ce pays ne m’est pas tout à fait inconnu. C’est un pays indépendant, secret et sobre, un peu farouche, mais non point sans une intime douceur ; c’est un air pur, des clartés dans l’ombre et dans l’âme, partout je ne sais quoi de jeune et d’éternel. Tant de sources à mi-pente ou dans les ravins, tant de rivières qui vont courir le monde, que je peux nommer : l’Aube, la Seine, la Marne, la Meuse – et comment appelez-vous celle-ci, très loin, que j’entrevois au fond du cœur ? »

Crédits: Michel Thenard
"Déjà voyez, c’est presque un autre monde. Ce sont de grands bois, des clochers sur les hauteurs..."
Crédits: Michel Thenard
"...des vaches lentes et songeuses dans les enclos..."

«  C’est mon quartier : le Pâquis [3].
Mon quartier, mais il me semble que toutes les autres parties du village se tournent vers lui : la grande rue, les magasins, l’école, l’église, le buste du sénateur ; plus loin, plus haut : le cimetière et nos tombes ; alentour, la libre étendue de la campagne : côtes et vallées, sources, ruisseaux, et l’Amance, les forêts sans fin, les masures à l’abandon dans les clairières. Oui, tout cela, je l’ai connu des yeux et du cœur, je le devine, je le sens, je le parcours : c’est un peu comme un don que l’on m’a fait, ou un dépôt qui me fut confié et dont je suis responsable…
 »
Ce fut ainsi (1979)

Crédits: Cliché L. Merger - R. Champonnois, éditeur.
"C’est mon quartier : le Pâquis..."
Crédits: Michel Thenard
Le quartier du Pâquis actuel avec la maison de Marcel Arland à droite

La maison avec la tourelle est appelée maison de "la Grande", du nom d’un personnage féminin du roman "Terre Natale" de Marcel Arland.

Chapelle de Presles (Marcilly/Hortes)

« Demain, les jeux dans les vallées près de l’Amance ; l’aventure à travers les bois jusqu’au val de Bouillevaux, ses deux maisons qui croulent et ses ruches ; puis à la gorge d’Enfer, où nait et coule, dans l’ombre, une eau limpide ; enfin toujours à travers bois, jusqu’au vallon et à la chapelle de Presles, où l’on vient en pèlerinage à la mi-septembre. »
Marcel Arland et sa terre natale (Guéniot, 1981)
Chapelle de Presles

« J’ai raconté plus d’une fois quels étaient nos jeux, après l’école, dans la vallée de l’Amance : les feux de rameaux et d’herbe sèche que nous allumions sur la rive, les courses au long des saules et des trembles, les premières ombres, la brume qui descendait en automne - jusqu’à cette voix qui dans la brume me parvint un jour de l’autre rive, une voix de jeune fille ou de jeune femme, qui chantait, et je ne distinguais personne, mais la voix, je l’ai longtemps écoutée, surtout du cœur, et quand elle s’est tue, je la percevais encore. C’était la voix de notre Amance. »

Crédits: Michèle Bidaut
"...les premières ombres, la brume qui descendait en automne..."

« Je voudrais que cette vallée de l’Amance, où je fus jeune, devînt chère à tous nos amis. N’y trouveraient-ils pas un lien nouveau, un lien d’alliance et comme une patrie spirituelle ? Je voudrais aussi - mais à présent laissez-moi gagner les songes - que l’amitié s’étendît jusqu’aux morts, aux amis qui ne sont plus, mais que je ne peux oublier, que je porte chaque jour. Je voudrais vous les nommer un à un : c’est Paulhan ou Malraux, c’est Schlumberger ou Supervielle, Rouault, Campigli ou Follain ; d’autres encore qui s’annoncent, que je souhaiterais unir à nous, rassembler, invisibles, en Amance, puis, l’heure venue, confier à vos soins d’homme jeune et fidèle à sa Terre Natale. »
Mais enfin qui êtes-vous ? (1981)

« Et toi, l’enfant que je craignais une fois encore de retrouver dans mon village, de revoir à la fenêtre de ma chambre, d’où tu me dévisagerais avec un drôle de sourire : sais-je au fond ce que tu fus ? J’ai parlé de tes rôderies, de tes rêves, des heures passées à l’écoute du soir et de l’Amance, de tes élans, de tes tombes, de tes ferveurs. Mais le reste ? »
Lumière du soir (1983)

Vous trouverez ci-après deux interviews de Marcel Arland, l’un de Bernard Pivot en 1979 et l’autre de Gilles Puldowski en 1982.

Marcel Arland interviewé par Bernard Pivot_Vidéo Ina.fr
Marcel Arland interviewé par Gilles Puldowski_Vidéo Ina.fr

Notes :

[1Biographie
À Varennes-sur-Amance, village du sud de la Haute-Marne, le 5 juillet 1899 naît Marcel Arland. Très jeune, il se trouve confronté avec la mort et une mère devenue inconsolable puisque son père décède en 1903.
A l’école communale, l’instituteur le soutient jusqu’au collège. Après le baccalauréat de philosophie passé à Langres, il part pour Paris afin de préparer une licence de Lettres à la Sorbonne.
Quand vient le service militaire, Marcel Arland s’attache à la littérature. On lui confie la direction de la partie littéraire de l’Université de Paris, il obtient la collaboration de : Marcel Proust, Jean Giraudoux, Blaise Cendrars, François Mauriac…
L’été 1922, il rentre à Varennes pour écrire Terres étrangères que Gide accueille favorablement. Dès lors, il se trouve introduit à La Nouvelle Revue Française, où il rencontre Jean Paulhan.
En 1924, son essai Sur un nouveau mal du siècle provoque quelques remous. Il est nommé professeur de Lettres à Jouy-en-Josas jusqu’en 1929, l’année où il publie L’Ordre qui lui vaut le Prix Goncourt. Il entre ensuite au comité de lecture des éditions Gallimard.
Marié à Janine Béraud en 1930, il quitte Paris pour s’installer près de Magny-en-Vexin, puis à Brinville. Mobilisé, il se retrouve successivement à Langres, Nantes et en Algérie. A son retour, son activité de critique devient intense. Il collabore à Hommes et Mondes, Combat, Arts, La Table Ronde, La Gazette de Lausanne, Contemporains… Lorsque reparaît La nrf, il en assure la co-direction avec Jean Paulhan, puis la direction jusqu’en 1977. Il reçoit, dès 1952, le Grand Prix de l’Académie française et, huit ans après, le Prix National des Lettres.
Le 20 juin 1968, Marcel Arland est élu à l’Académie française au fauteuil d’André Maurois.
Décédé à Brinville le 12 janvier 1986, Marcel Arland repose au cimetière de Varennes-sur-Amance où Janine le rejoint dix mois plus tard.

A lire : Arland de Jean Duvignaud - Bibliothèque idéale - nrf - Gallimard 1962

[2Bibliographie
1923 Terres étrangères, Gallimard (récit-roman) - 1924 La Route obscure, Gallimard (essai intime) - 1924 Etienne, Gallimard (récit) - 1926 Monique, Gallimard (roman) - 1926 Maternité, Au sans Pareil (nouvelle) - 1927 Étapes, Gallimard (essai intime) - 1927 Les Âmes en peine, Gallimard (nouvelles) - 1929 Edith, Gallimard (récit) - 1929 L’Ordre, Gallimard (roman) - 1929 Où le cœur se partage, Gallimard (essai) - 1930 Une Époque, Corrêa (essai) - 1931 Carnets de Gilbert, Gallimard (essai intime) - 1931 Essais critiques, Gallimard (critique) - 1932 Antarès, Gallimard (récit roman) - 1934 Les Vivants, Gallimard (nouvelles) - 1935 La Vigie, Gallimard (récit-roman) - 1937 Les plus beaux de nos jours, Gallimard (nouvelles) - 1938 Terre natale, Gallimard (récit) - 1941 Anthologie de la Poésie française, Stock (critique) - 1941 La Grâce, Gallimard (nouvelles) - 1941 Sur une terre menacée, Stock (essai) - 1944 Zélie dans le désert, Gallimard (récit-roman) - 1944 Le Promeneur, Le Pavois (essais critiques) - 1946 Avec Pascal, Le Salon Carré (critique) - 1946 Les Échanges, Gallimard (critique) - 1947 Il faut de tout pour faire un monde, Gallimard (nouvelles) - 1949 Chronique de la peinture moderne, Corrêa (critique) - 1949 Sidobre, Minuit (nouvelle) - 1950 Marivaux, Gallimard (critique) - 1951 La Prose française, Stock (critique) - 1951 Lettres de France, Albin Michel (critique) - 1952 Essais et Nouveaux Essais critiques, Gallimard (critique) - 1952 La Consolation du voyageur, Stock (récit) - 1953 Georges de la Tour, Ed. du Dimanche (critique) - 1954 Nouvelles Lettres de France, Albin Michel (critique) - 1955 La Grâce d’écrire, Gallimard (critique) - 1956 L’Eau et le Feu, Gallimard (nouvelles) - 1960 A perdre haleine, Gallimard (nouvelles) - 1960 Je vous écris…, Grasset (essai intime) - 1963 La nuit et les sources, Grasset (essai intime) - 1965 Le Grand Pardon, Gallimard (nouvelles et récits) - 1967 La Musique des anges, Gallimard (essai intime) - 1968 Il faut de tout pour faire un monde, réédition Gallimard (nouvelles) - 1969 Discours de réception à l’Académie française, Gallimard - 1970 Attendez l’aube, Gallimard (nouvelles et récit) - 1973 Proche du silence, Gallimard (essai intime) - 1977 Avons-nous vécu ?, Gallimard (essai intime) - 1979 Ce fut ainsi, Gallimard (essai intime) - 1980 Dans l’amitié de la peinture, Luneau Ascot (critique) - 1981 Mais enfin qui êtes-vous ?, Gallimard (essai intime) - 1983 Lumière du soir, Gallimard (essai intime).

[3Pâquis : (du latin pascere, paître) pâturage. Ce mot est plutôt utilisé pour désigner une zone sauvage de pâturage voire, carrément, une friche. De même, ce mot concerne aussi bien un endroit où viennent se nourrir les animaux sauvages, qu’un pâturage pour les animaux domestiques. Il existe le synonyme "pâtis", de la même racine latine. Sous toute réserve, ces deux mots seraient plutôt d’usage dans l’est de la France.

Dans le glossaire :
potentiel hydrogène

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1 Message

  • L’AMANCE DE MARCEL ARLAND Le 29 août 2020 à 14:06, par Annie RIVIERE-ARLAND

    Bonjour, je m’appelle Annie RIVIERE-ARLAND, dans mon enfance et ma jeunesse je venais rendre visite à mon grand-oncle Auguste Arland, à Varennes-sur-Amance.
    Je n’ai jamais eu la chance de rencontrer Marcel Arland, qui avait quitté son village natal depuis pas mal d’années déjà, et à présent je le regrette infiniment.

    Je viens de me décider, à presque 77 ans, de lire Terre natale, et cette lecture résonne en moi comme quelque chose de très familier. Cette envie tardive m’est venue après avoir rédigé ce que j’ai appelé mes Brèves de Vie, dans lesquelles je me raconte par épisodes, dont ceux de mes séjours à Varennes.
    Ma famille Arland avait été composée de 5 frères, nés à Bologne. Mon grand-père Arland est mort lorsque j’avais 5 ans, son frère Auguste lorsque j’en ai eu 15 ; Louis habitait à Chaumont ; les deux autres frères étaient morts jeunes, l’un à la guerre (il me semble), l’autre des suites d’un coup de pied de cheval. Sur les 5 frères Arland, seul mon grand-père, que j’appelais Papou, a eu une fille (Madeleine), et un garçon (André) ; ce grand-père était vétérinaire, et a été maire de Bologne.
    Tous ces Arland n’évoquaient jamais Marcel, mais à Varennes je savais où il avait passé son enfance. Et maintenant, je suis fière et heureuse de faire enfin sa connaissance.

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