Portrait de Bernard Palissy. (1)
Plat rustique aux reptiles et écrevisses. 1550. (2)
Il observe très attentivement la nature. Sa démarche qui est originale pour son époque ainsi que ses écrits peuvent être qualifiés de scientifiques. Il tourne le dos aux philosophes qui se plaisent à parler latin et à se référer aux auteurs anciens sans apporter de connaissances nouvelles. De 1574 à 1584, il donne des cours publics à Paris portant notamment sur les eaux des fontaines. Son auditoire se compose de savants, chirurgiens dont Ambroise Paré, médecins les plus distingués de Paris. Il ouvre la voie aux futures institutions modernes telles que la Sorbonne, le Collège de France ou le Muséum... Il publie en 1580 un ouvrage intitulé : « Discours admirables de la nature des eaux et des fontaines... ». (3)
Pour mieux expliquer ses différentes notions il a recours à un dialogue entre deux personnages : « Théorique » et « Practique ».
Je me bornerai à résumer la première partie de son ouvrage consacrée aux eaux et fontaines.
Théorique parcourt la campagne et éprouve une grande soif. Il rencontre des villageois qui ne peuvent le satisfaire car ils ne possèdent de fontaines et leurs puits sont taris par la sècheresse. Alors il s’adresse à Practique sur la façon de trouver des sources. Celui-ci fait remarquer que la plupart des fontainiers ne savent pas trouver les sources d’eau vive et se contentent de creuser des puits. Ils installent des pompes dont ils revendiquent l’invention et qu’ils vendent très cher. Ces pompes ne fonctionnent que peu de temps compte tenu des secousses que l’eau et l’air du pompage génèrent.
Théorique conteste cette vision « méprisante » de ces sublimes inventions qui assurent la conservation des navires et l’étanchéité des minières. Practique lui répond que les pompes ne sont pas des outils rentables pour les puits. Il lui explique leur fonctionnement à la manière de la luette de l’Homme qui permet la déglutition. Des personnes fortunées se sont laissées influencer par des fontainiers âpres au gain qui leur assuraient de pomper l’eau des rivières et de la déplacer jusqu’à leurs jardins situés sur les hauteurs. Les tuyaux de plomb lâchèrent et leur remplacement par du bronze fut très onéreux. D’autre part ils se bouchèrent rapidement par le sable de la rivière.
Coupe schématique d’un moulin alimentant une fontaine. 1588. (4).
Autres modèles de systèmes hydrauliques au XVIème s. (5)
Fontaine de la Grenouille du parc de Blanchefontaine. (Langres).
Théorique aborde maintenant la question concernant la qualité de l’eau des puits. Practique lui répond que cette eau ne provient pas des sources mais des pluies qui tombent alentour. Ne circulant pas, elle croupit et peut empoisonner. Certains individus y déversent parfois volontairement du poison. Lors du curage de certains puits, plusieurs manouvriers furent asphyxiés. Un médecin contamina volontairement un puits pour que les malades viennent à lui acheter des remèdes. Il gagnait ainsi beaucoup d’argent. Les puits situés à proximité des rivières sont alimentés par ces rivières. Lorsqu’elles sont grosses, il y a beaucoup d’eau dans les puits et lorsqu’elles sont basses il y a peu d’eau dans les puits.
Puits dans la tour de Navarre. (Langres).
Puits (à droite) de la maison « Renaissance » ou « Henri IV ». (Langres). (6)
Détails du puits ouvragé de la maison « Renaissance » ou « Henri IV ».
Théorique questionne Practique sur la qualité de l’eau des mares. Celui-ci lui répond que ce sont des fosses peu profondes creusées de manière à ce que les eaux de pluie les remplissent. Ces eaux chauffées par l’air et le soleil contiennent plusieurs espèces d’animaux telles que grenouilles, serpents, aspics et vipères. Elles ne peuvent être bonnes ni pour les hommes ni pour les bêtes. Elles contiennent encore des sangsues qui peuvent piquer le bétail.
« Les eaux des mares ne peuvent être bonnes ni pour les hommes ni pour les bêtes ».
Théorique demande à Practique ce qu’il pense des eaux des citernes. Practique lui répond que la conception de ces structures bien maçonnées, pavées, à l’abri de l’air et de la lumière fournissent de l’eau de bien meilleure qualité que celle des mares mais ne vaut pas celle des fontaines naturelles. Cependant, cette eau qui circule dans des tuyaux, canaux et aqueducs perd ses qualités. Il fait ensuite référence aux édifices antiques construits par les Romains et notamment les aqueducs qui acheminent l’eau sur de très longues distances. Il prend l’exemple de la ville de Saintes qui possède de nombreux édifices romains et un aqueduc conduisant l’eau de sources captées et situées à plusieurs lieues de la ville. Les modernes ont perdu ces connaissances qui supprimaient les contraintes d’un acheminement souterrain. Il poursuit en vantant le pont du Gard : « une œuvre admirable » avec ses trois rangs d’arcades. Puis il cite l’exemple de Rome qui reçoit l’eau d’un premier aqueduc lequel alimente un immense réceptacle. De là, plusieurs autres aqueducs répartis en branches vont desservir palais et grandes maisons de la cité. S’en suit une critique de l’architecte de la Reine qui pour acheminer l’eau dans le parc de Saint-Cloud a placé des tuyaux de plomb soudés en sous-sol « par monts et vaux » plutôt que de construire un bel aqueduc.
Relevé graphique d’un aqueduc romain proche de la ville de Saintes. (7)
Lithographie du pont du Gard.
Théorique demande à Practique de préciser les causes qui font que telle eau de fontaines naturelles est meilleure que telle autre. Practique lui fait remarquer que les hommes qui s’intéressent à la composition des terres et en particulier des sels qui les composent sont capables de reconnaître une bonne ou une mauvaise eau. Celle qui contient par exemple des sels de cuivre ou vitriol est dangereuse. Celle qui traverse des végétaux est bonne même si certaines plantes sont vénéneuses. C’est une question de dilution. « un peu de venin en une grande quantité d’eau n’a pas puissance d’actionner la nature mauvaise. ». Certaines eaux causent des fièvres ou des déformations de la gorge voire même des empoisonnements comme ce fut le cas pour Alexandre le Grand. Elles peuvent encore contenir de l’huile de pétrole à l’origine du bitume. La couleur des argiles dépend des sels qui les composent. Selon que l’eau passe sur telle ou telle argile elle se chargera de tel ou tel sel. Ces terres servent à fabriquer des tuiles, poteries et toutes sortes de vaisselles.
« Selon que le sel sera vénéneux il rendra l’eau vénéneuse... »
Théorique veut connaître la cause des eaux chaudes. Practique lui enseigne que l’eau doit être au contact d’un feu souterrain nourri par l’un des quatre matériaux suivants : soufre, charbon, tourbe, bitume. Lorsque cette eau est fortement chauffée elle dégage des vapeurs qui mélangées à de l’air sont comprimées à l’intérieur des cavités rocheuses. Cette forte pression est capable de provoquer des tremblements de terre.
« Un feu souterrain est nourri par l’un des quatre matériaux suivants : soufre, charbon, tourbe, bitume. » (8)
Théorique cherche à comprendre l’action des eaux chaudes sur la santé des baigneurs. Practique lui fait part de ses observations à la station balnéaire de Tarbes. Les malades ne guérissent pas systématiquement, cela dépend du type de sel contenu dans l’eau à ces moments là. Quant aux eaux de Spa près de Liège, les malades qui en boivent sont amenés à uriner davantage les soulageant ainsi de la gravelle.
Gravure de la ville de Spa. (9)
Conclusion.
On voit au travers de cet exemple l’intérêt que Bernard Palissy porte aux différentes eaux. Sa démarche scientifique consiste à les observer de très près. En cherchant leur origine, leur circulation dans le sol et les conditions de leur stockage ou d’acheminement, il est capable de déceler celles qui sont de bonne qualité et celles qu’il faut éviter de consommer. L’idée qu’il se fait de la cause de l’échauffement de l’eau et des tremblements de terre n’est plus acceptée aujourd’hui mais on ne peut lui reprocher de ne connaître en cette période de la Renaissance ni la tectonique des plaques ni les réactions nucléaires au centre de la terre (découvertes du milieu du XXème s.).
Notes et Bibliographie :
1) Portrait de Bernard Palissy. Source : Gallica.bnf.fr /Bibliothèque nationale de France.
2) Photographie de l’une de ses réalisations. Source : Wikipédia.
3) Ce texte provient de Gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
4) Ramelli, Agostino. « Le Diverse et artificiose machine del capitano Agostini Ramelli dal Ponte della Tresia. Paris : 1588. » Bibliothèque municipale de Soissons.
5) Planches de systèmes hydrauliques au XVIème. s. Source : Gallica.bnf.fr /Bibliothèque nationale de France.
6) Relevé de Rouargue d’après E. Sagot publié dans les « Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France » de I. Taylor, C.E. Nodier et A. de Cailleux (1857). Gallica.bnf.fr /Bibliothèque nationale de France..
7) Source : site Internet de Saintes.
8) Photographies des puits, fontaine, mare, minéraux, flammes : crédits photos : Jacques Bochaton.
9) Spa. Gravure. Source : Wikipédia.
Textes de Jacques Bochaton.
Mise en ligne : James Goncalves.