Le retour aux sources
Je n’avais pas vu de vrais bois depuis un an, et il y en aura bientôt dix-huit que je n’ai visité ceux-ci. A la descente du chemin de fer, quand, les oreilles encore toutes résonnantes des mille bruits parisiens, je me suis trouvé en pleine solitude sylvestre, j’ai ressenti une brusque commotion, et le vieux forestier qui sommeillait en moi s’est soudain réveillé.
On redevient sauvage à l’odeur des forêts,
a dit un poète contemporain [1]. Cette maxime paraîtra peut-être contestable à ceux dont le courant tumultueux des grandes villes a bercé l’enfance et agité la jeunesse, mais elle est rigoureusement vraie pour quiconque a été élevé au milieu des forêts. Ce qui nous prend et nous charme, nous autres boisiers, ce n’est pas seulement l’originale beauté de ces nappes de verdure ondulant de colline en colline ; ce n’est pas la fière tournure des chênes centenaires, ni la limpidité des eaux ruisselantes, ni le calme des futaies profondes ; non, c’est par-dessus tout la volupté des sensations d’autrefois, ressaisies tout-à-coup et goûtées à nouveau.
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- Alises ou fleurs d’alisier des bois.
- L’Alisier torminal, Alisier des bois ou Sorbier torminal (Sorbus torminalis)
L’odeur sauvage, particulière aux bois, la trouvaille d’un bouquet d’alises pendant encore à la branche, ou d’une fleur perdue de vue depuis des années, le son de certains bruits jadis familiers : la rumeur d’une cognée dans les coupes lointaines ou les clochettes d’un troupeau vaguant dans une clairière (…).
Mon premier soin a été de me mettre en quête de mon vieil ami Tristan. La joie de revoir la forêt était doublée pour moi du plaisir de la visiter avec lui. Il y a vingt ans qu’il la parcourt dans tous les sens, et pas un braconnier ne la connaît mieux. Il sait à l’avance dans quel canton les charbonniers dresseront leurs fourneaux, il peut vous indiquer la place précise où pousse telle plante rare et les coins ignorés où sont les plus beaux paysages forestiers. Nous avions jadis voyagé ensemble à travers les bois d’Auberive, et je me faisais une fête de l’associer de nouveau à mes excursions. Il faut visiter un pays inconnu avec la femme qu’on aime, mais c’est seulement avec un ami qu’on peut goûter pleinement le charme des paysages déjà vus. (…).
[2] - Vous autres, gens des villes, vous ne vous doutez pas combien est magnifique la flore de la forêt, même dans ces mois d’arrière-saison. Elle a une grâce et une couleur incomparables, elle est variée et féconde à l’infini (…).
Les fleurs sylvestres
- Crédits: Jacques Bochaton
- Chévrefeuille
- Chévrefeuille (Lonicera)
Une fois sur le chapitre des fleurs sylvestres, Tristan ne tarissait pas. Il me contait leur histoire, il y mêlait quelque peu de la sienne et finissait par si bien fondre son existence avec celle des plantes qu’on eût dit qu’un fil sympathique et mystérieux allait de son âme aux moindres végétaux des bois. Nous fîmes ainsi deux lieues sans nous en douter, en suivant le berceau verdoyant de l’Aube naissante, dont nous entendions les premiers vagissements sous les feuilles.Quand nous approchâmes de l’ancien lit de l’étang, je vis que mon ami n’avait point surfait les richesses florales de son jardin. La prairie encadrée dans le taillis étalait en plein soleil de joyeuses bordures de fleurs. Au long des buissons, les chèvrefeuilles tordaient leurs brins en compagnie des clématites ; le sol humide des prés était jonché de veilleuses ; au fil de l’eau, les reines des prés penchaient leurs panicules à odeur d’amande, et de superbes tiges d’aconit bleu s’élançaient fièrement au- dessus des touffes plus humbles des eupatoires lilas et des salicaires pourprées.
- Crédits: Jacques Bochaton
- Clématite
- Clématite (Clematis)
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- Veilleuse ou colchique : la fleur
- Cette plante est plus connue sous le nom de Colchique d’automne (Colchicum autumnale), mais dans nos campagnes, elle a beaucoup d’autres noms : safran bâtard, ail des prés, chenard, mort chien, tue-chien, tue-loup, vachette, veilleuse, veillote, etc.
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- Veilleuse ou colchique : le fruit
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- Reine des Prés
- Reine des Prés
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- Aconit
- Aconit
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- Eupatoire
- Eupatoire
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- Salicaire
- Salicaire
— Ne te gêne pas, s’écria Tristan d’une voix triomphante, fais ta gerbe ! Tu trouveras au bord de l’eau la parnassie avec ses cinq nectaires d’or et ses pétales blancs qui semblent découpés dans de l’ivoire. Ce que je te recommande surtout, c’est la tribu des gentianes. Nous les avons toutes ici : depuis la grande jaune, dont les indigènes distillent la racine pour fabriquer une détestable eau-de-vie, jusqu’à la petite bleue ciliée, qui ouvre à demi ses pétales frangés, comme une coquette lançant des œillades à la dérobée. Voici la petite centaurée, rougissante comme une ingénue ; la germanique violette, qui ressemble à une veuve hasardant sa première toilette de demi-deuil, et la pneumonanthe bleu indigo...
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- Parnassie
- Parnassie des marais (Parnassia palustris).
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- Gentiane jaune
- Gentiane jaune
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- Gentiane bleue ciliée
- Gentiane bleue ciliée
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- La petite centaurée
- La petite centaurée
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- Violette germanique
- Violette germanique
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- Gentiane pneumonanthe
- Gentiane pneumonanthe
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- La swertie vivace
- La swertie vivace (Swertia perennis).
Est-elle gaillarde et vigoureuse, celle- là, avec ses feuilles en glaive et ses corolles étoffées comme la robe d’une bourgeoise cossue...!
Arrête-toi un moment et salue la perle de l’écrin, rara avis ! Il me montra une plante svelte et frêle, aux petites feuilles foncées, aux fleurs en étoile, d’un violet sombre pointillé de noir. Sa physionomie avait je ne sais quoi de hautain et d’étrange.
— Mon cher ami, continua Tristan en écarquillant ses yeux bleus, tu vois la swertia... On ne la trouve qu’ici. C’est l’originale de la famille ; ne jurerait-on pas une magicienne de Thessalie, une Circé ou une Médée...?
(…).
Nous avions franchi la chaussée de l’étang aux talus fleuris de saponaires et de vipérines. (…).
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- Saponaires
- Saponaires
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- Vipérines
- Vipérines
Les grands arbres de la forêt
Ce matin, en regardant du haut de Montgérand les pentes du Val-Clavin, qui commencent à se teinter de jaune et de pourpre, je ne pouvais me lasser d’admirer la variété des essences qui croissent dans cette partie de la forêt.
- Crédits: Jacques Bochaton
- Le chêne
- Feuilles de chêne
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- Le hêtre
- Le hêtre
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- Le sapin
- Le sapin
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- Le châtaignier
- Feuilles de châtaigniers
— Oui, s’est écrié Tristan, les gens du monde s’imaginent que les bois ne sont peuplés que de trois ou quatre grandes espèces dominantes, comme le chêne, le hêtre, le sapin ou le châtaignier ; ils ne se doutent pas qu’à côté de ces races princières il y a le menu peuple des arbres, dont les physionomies sont tout aussi originales. (…).
Celui qui écrirait une monographie des essences secondaires trouverait là matière à des observations neuves et utiles.
Il y a le charme, par exemple, ce cousin germain du hêtre ; ceux qui n’ont pas vu une futaie de charmes ne peuvent se faire une idée de l’élégance de cet arbre aux fûts minces et noueux, aux brins flexibles, au feuillage ombreux et léger. Et le bouleau ! Que n’aurait-on pas à dire sur la grâce de cet hôte des clairières sablonneuses, avec son écorce de satin blanc, ses fines branches souples et pendantes où les feuilles frissonnent au moindre vent ? En avril, toutes les veines du bouleau sont gonflées d’une sève rafraîchissante ; nos paysans enfoncent un chalumeau à la base du tronc et y recueillent un breuvage limpide et aromatique. J’en ai goûté une fois, et, grisé par cette pétillante liqueur, je me suis couché au pied de l’arbre en proie à une délicieuse hallucination. Il me semblait que dans mes veines circulait et fermentait la sève des plantes forestières, et que moi-même j’allais verdir et bourgeonner. J’étais devenu un bouleau ; l’air jouait mélodieusement dans mes ramures couvertes de chatons en fleur, les fauvettes chantaient dans mes feuilles, et les sauges odoriférantes s’épanouissaient à ma base... C’était un enchantement, je t’assure !
- Crédits: Jacques Bochaton
- Le charme
- Feuilles de charme
- Crédits: Jacques Bochaton
- Le bouleau
- Le bouleau
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- L’érable champêtre
- L’érable champêtre (Acer campestris)
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- Le frêne
- Feuilles de frêne
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- L’érable sycomore
- L’érable sycomore (Acer pseudoplatanus)
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- Le tilleul
- Le tilleul (Tilia)
— Je ne te nommerai que pour mémoire l’érable, à l’écorce rugueuse et aux feuilles tridentées, le frêne, aimé des cantharides, le sycomore, riverain des sources vives, le tremble, au feuillage argenté ; mais je ne veux pas quitter le sujet sans te dire tout le bien que je pense du tilleul, qui peuple nos taillis de son épaisse frondaison.
Le chêne est la force de la forêt, le bouleau en est la grâce ; le sapin, la musique berceuse ; le tilleul, lui, en est la poésie intime. L’arbre tout entier a je ne sais quoi de tendre et d’attirant ; sa souple écorce, grise et embaumée, saigne à la moindre blessure ; en hiver, ses pousses sveltes s’empourprent comme le visage d’une jeune fille à qui le froid fait monter le sang aux joues ; en été, ses feuilles en forme de cœur ont un susurrement doux comme une caresse. Va te reposer sous son ombre par une belle après- midi de juin, et tu seras pris comme par un charme. (…).
Le verger forestier
Aujourd’hui Tristan m’a conduit dans les bois de Charbonnière, du côté du Val-Clavin, en me disant :
— Je t’ai montré mon jardin, il est juste que je te fasse connaître aussi mon verger. (…).
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- La fraise des bois
- La fraise des bois
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- La framboise
- La framboise, fruit du framboisier ou ronce du mont Ida (Rubus idaeus).
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- Les merises
- Les merises, fruits du merisier.
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- Les noisettes
- Les noisettes
— Te voilà ici dans le grand fruitier de la forêt ; de quelque côté que tu te tournes, tu verras des fruits pendre aux branches des arbres et des arbustes. En mère attentive, la forêt donne à ses enfants non-seulement un bon gîte, mais encore un bon souper, et, avec cette grâce aimable qui n’appartient qu’aux mères, elle sème au dessert ses plus belles fleurs sur la nappe verte afin de réjouir les yeux de ses con¬vives, en même temps qu’elle apaise leur appétit. A peine juin est-il à moitié de sa course, que les fraises et les framboises parfument les fourrés, puis viennent les merises noires, chères aux loriots ; mais c’est surtout en automne que la forêt prodigue ses largesses. A la Sainte-Madeleine, comme dit le proverbe, les noisettes sont pleines, et les coudraies feuillues tendent vers nous les amandes jumelles, encapuchonnées dans leurs cupules si curieusement déchiquetées. C’est là que les écureuils viennent faire leurs provisions d’hiver.
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- Les prunelles
- Les prunelles
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- La pomme sauvage
- La pomme sauvage, fruit du boquettier, ou pommier sauvage ou pommier des bois (Malus sylvestris).
- Crédits: http://florevirtuelle.free.fr/index.php?id_partie=3&id_page=2&genre=Pyrus&espece=pyraster
- Poirier sauvage
- Fruits du poirier sauvage (Pyrus pyraster)
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- Cornouilles
- Cornouilles, fruits du cornouiller mâle ou cornouiller sauvage (Cornus mas).
Les prunelles bleuissent aux haies ; les pommes et les poires des bois étalent leurs fruits âpres, d’un vert pâle, au milieu du feuillage rougissant des sauvageons.
Les baies des cornouillers, semblables à des olives vermeilles, achèvent de mûrir à côté des épines-vinettes cramoisies, et du haut des alisiers pendent les bouquets bruns des alises, pareilles pour le goût et la couleur à de petites nèfles. Les chênes font pleuvoir leurs glands, et les sangliers s’en régalent. De la Saint-Michel à la mi-novembre, le fruitier est toujours abondamment rempli ; mais le plus riche produit du verger forestier est encore le fruit du hêtre : la faîne. Vers la fin de septembre, les capsules rougeâtres et rugueuses des hêtres s’entr’ouvrent, les faînes s’en échappent, deux à deux, avec un bruit sec ; le sol est jonché de leurs graines brunes et triangulaires. Alors tous les bois sont en rumeur ; femmes, vieillards, enfants, accourent des villages voisins pour récolter la faîne. On étend sous chaque arbre de grands draps blancs, on secoue les branches à coups de gaule, et les graines anguleuses tombent comme une averse. La faîne est très savoureuse. Nos paysans en font de l’huile en soumettant les amandes, enfermées dans des sacs de toile neuve, à de lentes pressions. Cette huile, extraite à froid, vaut l’huile d’olive ; elle a l’avantage de se conserver pendant dix ans sans perdre de sa qualité, et elle sert à confectionner des fritures fines, dorées, affriolantes... Essaies-en, et, comme dit Brillat-Savarin, tu verras merveille !
- Crédits: Jacques Bochaton
- Les glands
- Les glands : fruits du chêne
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- La faîne
- La faîne : fruit du hêtre
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- Les mûres
- Les mûres
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- Les épines-vinettes
- Fruits de l’épine-vinette
Je m’étais penché vers les halliers pleins de fruits violets ou vermeils...
— En route ! s’écria Tristan, m’interrompant dans ma cueillette de cornouilles et de mûres, maintenant que tu connais le fruitier, il faut que tu visites aussi le potager.
Les Champignons
Nous reprîmes le chemin de la futaie des Fosses. Les pluies des jours précédents avaient détrempé le sol, et, sous les grands couverts, la population étrange des cryptogames avait poussé et grandi en une nuit. Toutes les variétés de champignons étaient là disséminées, soulevant les feuilles sèches, sertissant le pied des arbres, dominant les touffes d’herbe. Il y en avait de toute forme et de toute nuance : gros chapeaux bruns et bossués, frêles parasols gris, larges coupes blanchâtres retenant l’eau de pluie dans leur creux, mitres d’évêque d’un jaune chamois, branches fines ramifiées comme des coraux, boules neigeuses et gonflées...
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- l’agaric
- l’agaric des champs
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- Le cèpe ou bolet
- Le cèpe ou bolet (Boletus)
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- Les chanterelles
- Les chanterelles, ou girolles, ou jaunottes, ou chevrettes
(Cantharellus cibarius)
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- Le charbonnier
- Le charbonnier (Tricholoma myomyces), qui se distingue en fait du cèpe ou du bolet.
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- Le mousseron
- Le mousseron
— Tu vois ici, dit Tristan, le vaste garde-manger toujours libéralement ouvert aux gens de la forêt. Les agarics, les bolets, les chanterelles et les clavaires y poussent à foison ; seulement il faut ouvrir l’œil et y regarder de près : l’ivraie se trouve à côté du bon grain, et malheur à ceux qui, trompés par une fausse ressemblance, tombent sur un champignon vénéneux ! Ce qu’il y a de fatal, c’est que chaque espèce comestible a presque toujours un sosie qui végète dans le voisinage, et dont souvent les propriétés sont pernicieuses. Ainsi le cèpe, ce délicieux bolet qu’on nomme chez nous le charbonnier, a pour cousin germain le bolet meurtrier, dont le nom indique assez le caractère malfaisant. L’oronge, ce royal champignon jaune comme un soleil, ne croit pas dans nos bois, mais nous avons ses détestables sœurs, deux terribles empoisonneuses : l’amanite fausse-oronge et l’amanite citrine, dont tu vois d’ici les chapeaux rouges ou verdâtres couverts de taches de lèpre. Le mousseron, hôte des taillis de coudriers, a pour ménechme l’agaric nébuleux, qui ne vaut pas cher et qui est la caricature du premier. En général, on peut observer comme règle que les bons champignons ont tous la chair parfumée, blanche et cassante, l’épiderme sain et une mine d’honnêtes gens, tandis que les cryptogames vénéneux ont la physionomie équivoque, la couleur changeante, l’odeur nauséabonde et l’air sinistre des coquins. Malheureusement cette règle n’est pas sans exception, et les gens peu exercés s’y trompent. (…).
Attention ! Nous arrivons à un endroit où ne croissent guère que des espèces innocentes, avec lesquelles il n’y a pas de méprise possible. Ce champignon d’un jaune d’or, au chapeau coquettement retroussé et frisé, est la chanterelle, connue vulgairement sous le nom de chevrette ; celui-ci, tantôt gris- perle et tantôt jaune-saumon, qui ressemble à une touffe de coraux, c’est la clavaire ou menotte. Voici le lactaire doré, dont les fines lamelles laissent transsuder une liqueur ambrée, — l’agaric élevé ou colmelle, avec sa bague et son parasol, — l’helvelle, dont le chapeau a l’air d’une mitre d’évêque, et non loin la tribu des hydnes. Remarque leurs allures singulières ; ils poussent par bandes et décrivent des demi- cercles autour des arbres.
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- Clavaire chou-fleur, clavaire à pointes roses
- Clavaire chou-fleur, Clavaire à pointes roses, Ramaire chou-fleur, (Ramaria botrytis)
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- Clavaire crépue, morille des pins ou chou-fleur
- Clavaire crépue, morille des pins, chou-fleur ou sparassis crépu (Sparassis crispa)
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- Lactaire délicieux
- Lactaire délicieux (Lactarius deliciosus)
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- Lactaire sanguin
- Lactaire sanguin (Lactarius sanguifluus).
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- Le pied-de-mouton de la famille des hydnes
- Le pied-de-mouton (Hydnum repandum) de la famille des hydnes.
L’hydne est peut-être le plus original de nos champignons d’automne. Son pied est excentrique, et son chapeau jaune-chamois se jette tout d’un côté ; des centaines de fines aiguilles verticales garnissent le dessous du chapeau et lui donnent une physionomie de hérisson. Pendant longtemps on ne ramassait pas les hydnes, et on les regardait comme des champignons dangereux. Heureusement on est revenu de ce préjugé. Dans l’un de mes derniers voyages à Paris, j’en ai aperçu une pleine corbeille à l’étalage d’un fruitier ; en revoyant dans une rue sombre et populeuse ces beaux hydnes à odeur d’abricot, encore demi-vêtus de mousse des bois, j’ai été aussi ému qu’un montagnard suisse expatrié qui entendrait tout à coup le Ranz des vaches. (…).
Epilogue
En revenant à table, Tristan remplit nos deux verres jusqu’au bord, et, levant le sien au-dessus de sa tête :
— à la forêt ! S’écrie-t-il avec enthousiasme, à la forêt, poésie et parfum de la terre, et puissent longtemps ses futaies s’élever vers le ciel et ses taillis moutonner au vent comme une mer verdoyante ! Aux grands arbres : chênes, hêtres et charmes, qui conservent sous leurs ramures puissantes l’esprit et les mœurs des anciens âges, et parmi lesquels vit une population robuste, laborieuse et fière ! Là où sont les bois, là est le cœur de la patrie, et un peuple qui n’a plus de forêts est bien près de mourir. Aux fruits de la forêt, cette nourricière, et aux fleurs de la forêt, cette charmeuse, la seule maîtresse dont l’amour soit toujours fervent et jamais égoïste ! A la forêt enfin, qui a vu notre amitié naître et grandir, solide, joyeuse, vivace comme les plantes qu’elle fait croître !
Nous choquons nos verres et nous nous serrons la main. C’est le dernier toast et la dernière agape. Déjà les claquements de fouet du courrier qui doit m’emmener résonnent à l’angle de la route ; les chevaux hennissent et piaffent tout fumants. J’embrasse Tristan, je m’élance près du conducteur, et la voiture roule à travers la forêt ruisselante. (…).