Recommandation
Pour une meilleure compréhension de cet article, nous conseillons au lecteur de se munir d’une carte IGN [1] au
1/25 000 de la région de Pouilly-en-Bassigny, soit sous forme papier (carte 3219 SB), soit sur le Géoportail https://www.geoportail.gouv.fr/
Les sources de la Meuse à l’époque antique et gallo-romaine
Les différentes tentatives de reproduction, au XVIe siècle, de la carte de la Gaule de Claude Ptolémée (IIème siècle), ne sont pas suffisamment précises en ce qui concerne la Meuse.
Par contre, les romains nous ont laissé une carte de l’empire datant de l’époque de l’empereur Théodose 1er (IVe siècle) qui peut nous intéresser. Plus exactement il s’agit d’une copie imprimée, réalisée en 1598 [2] par la famille de Konrad Peutinger et qui nous est parvenue sous le nom de « Table de Peutinger » [3].
Le mot « table » est plus approprié que le mot « carte », car il s’agit plus d’un abaque linéaire donnant des distances en chiffres (au demeurant exacts) entre cités gallo-romaines, que d’une représentation géographique à l’échelle. Chaque cité répertoriée est représentée par un symbole graphique comme, par exemple, les thermes.
- Crédits: https://leg8.fr/monde-romain/table-de-peutinger
- Indésina sur la Table de Peutinger
On constate, sur cette table, que la Meuse prendrait sa source à la cité thermale du nom d’Indésina. Mais ce toponyme pourrait aussi être Andésina, Lindésina, ou autre, car le déchiffrage de l’inscription d’origine reste incertain.
La localisation d’Indésina n’est pas, non plus, certaine. Deux thèses sont en présence pour situer cette cité : l’une, la positionnant à Boubonne-les-Bains [4] et l’autre l’identifiant à Grand [5]. Mais la Meuse ne peut prendre sa source, ni à Bourbonne-les-Bains ni à Grand, pour une raison géomorphologique simple : Boubonne-les-Bains se situe sur le bassin versant rhodanien et Grand se situe sur le bassin versant séquanien. Par conséquent, quelle que soit l’appartenance retenue pour Indesina, aucune des deux cités ne peut donner naissance à la Meuse. Cependant, ces deux cités sont très proches de ce fleuve [6] et, à l’échelle de l’Europe, on peut faire l’hypothèse que le cartographe a réalisé une enluminure approchant la réalité, pour signifier qu’Indésina marque le secteur de la source de la Meuse. A noter également que la Table de Peutinger n’utilise pas le terme « Mosa », mot latin pour désigner la Meuse, mais l’expression « Flumen Patabus ».
La localité identifiable la plus proche de la source est « Mose » ou « Mosae Vicus », l’actuel Meuvy [7]. A cet endroit la Meuse coupe la voie romaine Langres-Trèves. On notera qu’Indésina est à l’écart de cette route mais, comme il ne s’agit pas d’une carte à proprement parler, il est impossible d’évaluer cet écart. Par contre, le graphisme représentant Indésina est d’une certaine importance, ce qui démontre que cette cité l’était tout autant.
Pour aller à la recherche de la véritable source de la Meuse, il ne faut pas seulement considérer l’aspect géographique, mais aussi l’aspect historique, voire mythologique. En effet, on sait que les gallo-romains vénéraient une divinité à l’origine des fleuves, comme ce fut le cas pour la déesse Séquana, à la source de la Seine, et qui a donné son nom à ce fleuve.
Fort de ce constat et, indépendamment de la situation d’Indésina, l’abbé Didier Tachy (1852-1921) [8], curé de Pouilly [9] et passionné d’archéologie, a tenté de rechercher en 1906 un sanctuaire sur la zone de Pouilly-en-Bassigny qui aurait pu ainsi matérialiser la source « officielle » de ce fleuve.
En effet, il existait autrefois au centre de Pouilly, une ancienne fontaine, appelée « Fontaine de Meuse » sur la carte de Cassini (XVIIIe siècle). Nous reviendrons sur ce point.
Mais l’abbé Tachy n’a pu réaliser que des sondages autour de la fontaine de son village, car il n’a pas eu la possibilité de continuer ses recherches en dehors du domaine public [10].
Malgré tout, l’abbé Tachy a pu mette à jour « une canalisation antique soignée, en belles pierres taillées, quelques débris de construction qu’il n’a pu identifier, et quelques monnaies de bronze du Haut-Empire romain ».
En 1934, le chanoine Georges Drioux (1888-1949) [11], professeur d’histoire, qui connaissait les recherches de l’abbé Tachy, publie un ouvrage intitulé « Cultes indigènes des Lingons » [12] dans lequel il propose, contrairement à l’abbé Tachy, d’orienter les recherches plutôt vers le ruisseau d’Avrecourt [13] et le Mont Mercure, en écrivant :
« Pour ma part, j’inclinerais volontiers à chercher dans la direction d’Avrecourt. Le ruisseau d’Avrecourt prend sa source à un kilomètre environ [14] du Mont Mercure, mais le point d’émergence pouvait être, autrefois, plus au sud, rapproché de la base même du mont qui, par sa situation, par sa forme, n’a pas manqué de frapper les imaginations. A l’époque romaine, c’était le domaine du grand dieu des échanges et des communications : rien de plus naturel que ce dernier présidât également aux origines du grand fleuve ».
Remarque à propos du ruisseau d’Avrecourt.
Sur la carte IGN actuelle, ce ruisseau ne prend cet hydronyme qu’en aval du hameau de Forfilières [15]. Ainsi, en amont de Forfilières, contre toute logique, le ruisseau qui traverse Avrecourt s’appelle le ruisseau de l’Etang [16] ! Cette distinction n’existait pas à l’époque du chanoine Drioux et ce ruisseau s’appelait ruisseau d’Avrecourt [17], depuis sa source au sud du village éponyme, jusqu’à sa confluence avec la Meuse au village du même nom. Aussi, pour une meilleure compréhension des lignes qui vont suivre, nous utiliserons uniquement l’hydronyme de ruisseau d’Avrecourt pour cet ensemble hydrographique décrit par le chanoine Drioux.
Les réflexions de l’abbé Tachy [18] et du chanoine Drioux [19] méritent attention, car une hypothétique découverte d’un sanctuaire gallo-romain, situé à l’une des sources de la Meuse et dédié à ce fleuve, aurait un impact archéologique et historique tel que la source concernée prendrait, de fait, le statut de source « officielle », sans aucune autre considération géographique. Mais une telle découverte est-elle encore possible ?
Si la découverte d’un sanctuaire dédié à la source de la Meuse reste une possibilité, la mise au jour d’une nouvelle cité thermale est une hypothèse plus incertaine.
En effet, on peut faire le constat que les stations thermales actuelles de la région [20] sont toutes dans le Trias, sur le front de la côte des grès infraliasiques du Rhétien. Par conséquent l’existence de thermes antiques dans le Lias, c’est-à-dire dans le Bassigny, a une probabilité très faible du point de vue géologique.
A noter également que la proposition du chanoine Drioux d’examiner la possible existence d’un sanctuaire, dédié à la source de la Meuse, au nord du Mont-Mercure, n’est pas, non plus, évidente.
• Sur le plan hydrographique d’abord : le Chanoine Drioux écrit que le Mont Mercure, « par sa situation, par sa forme, n’a pas manqué de frapper les imaginations ». Oui, mais la quasi-totalité des eaux en provenance du Mont Mercure s’écoule dans le bassin rhodanien [21], ce qui ne prédispose pas ce site à être dédié à la Meuse.
• Sur le plan mythologique ensuite : il n’est pas du tout certain qu’à l’époque romaine ce mont ait été dédié à Mercure. Cet oronyme n’apparaît sur les cartes que depuis le XVIIe siècle [22], et le dieu Mercure est identifié comme le dieu du commerce, des échanges, des voyageurs et des voleurs, ce qui est quand même assez éloigné d’une source ou du thème de l’eau.
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Les sources de la Meuse à la Renaissance
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France
- Das gantz Franckreich so vorzeiten Narbonensis, Lugdinensis, Belgica und Celtica ist genennt Worden - XVIème siècle
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France
- Carte de France de Jean Jolivet - XVIème siècle
Il faut attendre plus de mille ans pour voir apparaître les premières cartes significatives. La première carte imprimée nous vient d’Oronce Fine en 1538. Ces cartes ont un contour maritime de la France encore très éloigné de la réalité. Cependant, les fleuves y sont tous représentés, mais la position des sources est encore très imprécise. Par exemple, sur les cartes ci-dessus, on retrouve les mêmes impossibilités que sur la table de Peutinger [23] avec, ici, la source de la Meuse positionnée à Andelot [24], ce qui est totalement exclu, cette cité étant située sur le Rognon, affluent de la Marne, dans le bassin séquanien.
Sur la carte germanique (auteur inconnu), Mézières, Verdun, et la petite place forte de Villefranche, sont correctement positionnées ; Andelot n’est pas à sa place.
Sur la carte de Jean Jolivet, Verdun, St-Mihiel, et Neufchâteau (Châteauneuf), sont à leur place ; Lamarche n’est pas au bon endroit.
Si Andelot s’élimine naturellement, la difficulté, à cette époque, reste en amont de Neufchâteau [25] avec une confusion entre la Meuse et le Mouzon, son affluent rive droite, avec la confluence à Neufchâteau même.
Cette confusion peut se comprendre par le fait qu’en période d’étiage, la Meuse se perd en totalité au nord de Bazoilles-sur-Meuse [26] pour réapparaître par une résurgence à Noncourt [27], juste avant Neufchâteau. L’inscription de « Mouzon » n’apparaîtra sur les cartes qu’au moment où la Meuse sera identifiée à sa place actuelle, au XVIIe siècle.
Si la plupart des cartes du XVIe siècle prennent le Mouzon actuel comme origine de la Meuse, la source de celui-ci n’est pas, non plus, toujours placée au bon endroit, celle-ci pouvant être : à la forteresse de La Motte [28], à Martigny [29], ou à la forteresse de Lamarche [30] sur le « Petit Mouzon ».
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France - Annotation Jean Gallier
- Carte de France d’Oronce Finé de 1538
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France - Annotation Jean Gallier
- Carte de France de Pirro Ligorio de 1558
Oronce Fine, en 1538, fait démarrer la Meuse en amont de Lamarche, ce qui correspond au Mouzon ou plus exactement à ce qui est appelé aujourd’hui le « Petit Mouzon ». L’inscription « Meuse » n’apparaît qu’en aval de Neufchâteau (Châteauneuf) et Vaucouleurs.
En 1558, Pirro Ligorio reprend un tracé pratiquement identique à celui d’Oronce Fine, avec la source en amont de Lamarche et en faisant figurer l’inscription « Meuse », pour le Mouzon, en amont de Neufchâteau (Châteauneuf).
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France
- Carte de France de Gérard Mercator de 1585
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France
- Carte de Champagne de Gérard Mercator de 1585
En 1585 Gérard Mercator édite deux cartes, l’une de France et l’autre de Picardie-Champagne. Les tracés ne sont pas identiques, mais il s’agit sans doute d’un problème lié à la différence d’échelle. Toujours est-il que sur la carte de France, la Meuse, ou plus exactement le Mouzon, démarre à la forteresse de La Motte.
Sur la carte de Picardie-Champagne, Gérard Mercator fait apparaître deux cours d’eau, sans aucune identification, mais en prenant visiblement le Mouzon pour la Meuse avec Martigny comme source, ce qui est exact pour le Mouzon.
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France - Annotation Jean Gallier
- Carte de France de Gérard de Jode de 1592
S’il restait un doute sur la perception de l’époque, en 1592 Gérard de Jode indique le terme de « Mosa » (nom latin de la Meuse), pour le Mouzon.
A noter également deux autres erreurs communes aux deux dernières cartes :
• Martigny [31], la source du Mouzon, y est écrit « Montigny ».
• St Thiébault [32] n’est pas sur le Mouzon, mais sur la Meuse.
Il va falloir attendre plus d’un siècle, après Oronce Fine, pour mettre la Meuse à sa place actuelle.
Remarque.
Si, à la Renaissance, la Meuse a été confondue avec le Mouzon, on peut se demander s’il n’en fut pas également ainsi à l’époque gallo-romaine ?
Les sources de la Meuse au Grand Siècle
Le XVIIe siècle va être très prolifique en cartographie, avec une nette amélioration du tracé pour les fleuves (entre autres).
La carte des environs de Langres et Coiffy de Jean Jubrien – 1630
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France _ Annotations Jean Gallier
- Carte de Jean Jubrien de 1630
La carte manuscrite de Jean Jubrien [33], représente, en amont de Neufchâteau, la Meuse actuelle sans la nommer, et fait apparaître 3 sources :
A - Le tronçon appelé « Meuse » aujourd’hui, venant de Pouilly.
B - Le ruisseau de Pré Chatenay passant par Dammartin-sur-Meuse [34] et prenant sa source au lieu-dit « le Breuil ».
C - Le ruisseau d’Avrecourt traversant Forfillières mais sans venir d’Avrecourt. Apparemment le tracé représente, comme départ du ruisseau, un ru sans nom sur la carte IGN, venant du lieu-dit « les Champs Tordus » [35].
La carte de de Nicolas Visscher - 1650 et la carte de Jean-Baptiste Nolin - 1701
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France _ Annotation Jean Gallier
- Carte de France de Nicolas Visscher de 1650
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France _ Annotations Jean Gallier
- Carte de la Lorraine de Jean-Baptiste Nolin père de 1701
Nicolas Visscher, cartographe néerlandais, nous apprend que la Meuse est bien le cours d’eau le plus à l’ouest en amont de Neufchâteau, ce qui élimine définitivement la confusion avec le Mouzon. Ce dernier sera identifié comme tel, en 1701 par Jean-Baptiste Nolin.
La carte de Nicolas Sanson d’Abbeville - 1679
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France_Annotations Jean Gallier
- Carte des archidiaconés de Langres de Nicolas Sanson d’Abbeville de 1679
La carte de Nicolas Sanson d’Abbeville nous confirme qu’il s’agit bien de la Meuse en aval du village éponyme. En outre, elle nous présente au moins 4 sources :
A - La Meuse actuelle, traversant Malroy [36], mais sans vraiment démarrer à Pouilly. On peut supposer ici qu’il s’agit d’une imperfection graphique.
B - Le ruisseau de Pré Chatenay passant par Dammartin-sur-Meuse, mais là encore, même remarque que ci-dessus, car ce ruisseau démarre beaucoup plus à l’est.
C - Le ruisseau d’Avrecourt
D - Le ruisseau de Bocheret, passant à côté de la ferme de Belfays, mais prenant sa (ses) source(s) beaucoup plus au sud-ouest que cette carte ne le représente. Le ruisseau de Bocheret est issu des ruisseaux de la Gorge et de la Prairie, tous deux prenant leur source sur le front de la côte domérienne [37] du Plateau de Langres.
Il convient de nous attarder sur le ruisseau d’Avrecourt (C) qui prendrait sa source à Récourt [38], ce que ne montre pas la carte IGN actuelle qui fait démarrer celui-ci à l’orée nord du Bois Dessous. Toujours sur la carte IGN, Il existe un autre ruisseau prenant sa source à Récourt, appelé ruisseau de Quenevaille (E), mais ce ruisseau ne passe ni par Avrecourt, ni par Forfillières ! Alors, quel est ce cours d’eau représenté sur cette carte, prenant sa source également à Récourt et passant par Avrecourt et Forfillières, si ce n’est le ruisseau d’Avrecourt (C) lui-même ? S’agit-il d’une erreur cartographique, d’un mythe ou d’une réalité ?
En allant sur le terrain, on découvre, sur le front de la côte domérienne [39], au lieu-dit « la Creuse » par les habitants de Récourt ou « Vaudiécourt » sur la carte IGN, une source que les habitants des lieux appellent la « Fontaine Marchand ». Cette source est située à 420 m d’altitude.
A propos de cette fontaine, Bernard Bézy (1897-1986), ancien maire de Récourt, a écrit ceci :
« […] Sur les bancs de l’école, l’instituteur a appris à nos enfants que la source de la Meuse sortait d’un petit ravin dit « la Creuse » (côté nord) à quelques centaines de mètres de la borne minéralogique [40] fixant le point de partage des eaux, le côté sud-est allant dans la Méditerranée, le côté sud-ouest allant dans la Manche et le côté nord dans la mer du Nord, donc dans la Meuse, tout ceci bien entendu sur le territoire de Récourt. Cette source, qui aujourd’hui se disperse quelque peu par suite du piétinement du bétail, fournissait une belle eau claire, il y avait même du magnifique cresson, et l’on y venait souvent pendant les moissons (il y a 40 ans) y puiser de l’eau pour se désaltérer car elle n’était point polluée.
Aujourd’hui donc, elle s’écoule à quelques dizaines de mètres en aval pour gagner le « Bois Dessous » et descendre dans Avrecourt . Nous estimons que la distance parcourue sur Récourt est d’environ 1500 m avant d’arriver sur le territoire d’Avrecourt. […] ».
Voici donc un témoignage inattendu et ignoré de nos contemporains !
Il faut dire que la liaison de la Fontaine Marchand avec le ruisseau d’Avrecourt (C), a subi beaucoup de perturbations au cours des deux siècles passés, à commencer par la construction du chemin de fer Dijon-Nancy, à la fin du XIXe siècle, puis avec le remembrement agricole, et avec l’abreuvement du bétail comme le souligne Bernard Bézy.
On trouvera ci-après une carte dynamique avec, un tracé (en bleu) de la « Fontaine Marchand » rejoignant le ruisseau d’Avrecourt, ainsi que le tracé (en rouge) des trois lignes de partage des eaux faisant la séparation entre les bassins séquanien, meusien et rhodanien [41].
Mettez la carte plein écran avec le bouton à gauche et choisissez votre fond de carte avec le bouton en haut à droite.
Les sources de la Meuse au siècle des Lumières
Au cours du XVIIIe siècle, il faut considérer deux périodes distinctes pour la cartographie :
• La première moitié du XVIIIe siècle qui n’apporte pas de grand progrès par rapport à la cartographie du XVIIe siècle.
• La seconde moitié (après 1747), où les travaux de la famille Cassini vont faire entrer la cartographie dans l’ère moderne avec, pour la première fois, des distances exactes, ce qui permettra d’établir une géométrie du territoire conforme à la réalité.
La carte d’Alexis-Hubert Jaillot - 1704
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France - Annotation Jean Gallier
- Carte d’Alexis-Hubert Jaillot de 1704
La carte d’Alexis-Hubert Jaillot reprend les éléments de la carte de Nicolas Sanson d’Abeville de 1679 avec deux précisions :
• Le cours d’eau correspondant à la Meuse actuelle (A) prend bien sa source à Pouilly-en-Bassigny.
• La mention « Source de la Meuse », au singulier, apparaît en dessous du village de Meuse.
Que signifie l’inscription « Source de la Meuse » à cet endroit ? Deux hypothèses sont possibles :
• Parmi le grand nombre de sources que comprend le village de Meuse, l’une d’elle serait considérée comme la source de la Meuse ! Cette hypothèse est peu probable car aucun autre document n’atteste cela, et la mémoire collective de la région n’en a aucune trace.
• Plusieurs géographes prennent pour acquis le fait que la Meuse ne démarrerait véritablement qu’au village de Meuse. Cette hypothèse est séduisante mais pas totalement satisfaisante. On peut concevoir, en effet, qu’un faisceau de cours d’eau différents se rassemblant à Meuse, donne naissance au fleuve Meuse. Mais, dans ce cas, comment s’appelait le cours d’eau reliant Pouilly au village de Meuse ? Nous ignorons si ce ruisseau, à travers le temps, a pu s’appeler autrement que « Meuse », car nous n’avons pas trouvé de document d’époque avec un hydronyme particulier.
Plus prosaïquement, l’identification du fleuve Meuse en aval du village éponyme est, sans doute, à considérer comme un « raccourci » de la part des cartographes, faute de pouvoir identifier la « source unique » parmi les nombreux ruisseaux convergeant sur le village de Meuse. Il est également à peu près sûr que les cartographes de cette époque ne disposaient pas de données suffisamment précises pour identifier, de façon certaine, les hydronymes des ruisseaux en amont de Meuse. Il faudra attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour voir inscrits ces hydronymes sur les cartes IGN.
Claude-Marin Saugrain - 1726
Dans son dictionnaire [42] en trois volumes, qu’il faut bien considérer comme une des premières encyclopédies, Claude-Marin Saugrain nous apporte les informations suivantes :
• Pour le village de Meuse : « […] c’est près de ce village qui est très ancien, que la Meuse prend sa source ».
• Pour le fleuve Meuse : « La MEUSE, Mosa, fleuve qui prend sa source dans le Bassigny, près de Langres, & au Village nommé Meuse dont il prend le nom […] ».
Si on se réfère à ce qui a été dit au paragraphe précédent, à propos de la carte d’Alexis-Hubert Jaillot, Claude-Marin Saugrain se range dans la catégorie des partisans de la source de la Meuse au village de Meuse. Nous verrons qu’il y en a beaucoup d’autres.
La carte de la Lorraine des frères Naudin - 1728-1739
- Crédits: Service Historique de la Défense - Département de l’Armée de Terre
- Carte de la Lorraine des frères Naudin 1728-1739
Cette célèbre carte nous apporte deux informations. La première est une inscription en gros caractères, allant de Bonnecourt à Pouilly-en Bassigny, libellée comme suit : « Naissances de la Meuse » (au pluriel NDLR). La deuxième est une information pour le moins curieuse, en situant la source de la Meuse sur la commune de Provenchères-sur-Meuse, dans le Bois de But, au nord-est de la ferme de Tourterelle. Le problème est qu’il n’y a pas de source donnant naissance à un cours d’eau au Bois de But, comme représenté sur cette carte, et se jetant directement dans le ruisseau d’Avrecourt (C) !
Le Bois de But dispose d’autres sources, dont une, partant en direction du ruisseau de Bocheret(D), une autre se déversant dans le ruisseau de Quenevaille (E) et une autre très faible à proximité du ruisseau d’Avrecourt (C). Cependant, quel que soit l’écoulement que le cartographe a voulu représenter, il est peu probable que la ou les sources du Bois de But, rejoignant directement ou indirectement le ruisseau d’Avrecourt (C), dispose(nt) d’un débit suffisant pour avoir la prééminence sur celui-ci. Aussi, dans l’état actuel des connaissances, l’inscription « Source de la Meuse », à cet endroit, reste inexpliquée.
Buffon et Daubenton– 1749
« […] les sources de la Meuse sortent en partie des marécages du Bassigny, et d’autres petites vallées très étroites et très escarpées » [43].
En une phrase très courte, Buffon et Daubenton donnent une définition exacte de la configuration des sources la Meuse. Ces deux naturalistes adoptent le point de vue des sources multiples, mais de façon argumentée sur le plan géomorphologique. A partir de la définition qu’ils donnent, on peut embrasser tout l’amont de la Meuse au sud de Meuvy [44].
Le Bassigny était autrefois une région marécageuse, avant que les travaux de drainage, permettent l’élevage et l’agriculture. Lorsque Buffon parle d’une « partie des sources sortant des marécages du Bassigny », cela concerne essentiellement les affluents rive droite de la Meuse qui prennent leur source sur le plateau du Bassigny. Ce sont des cours d’eau « réséquents » [45] du Bassigny. La région du Bassigny [46] repose sur le revers de la côte des grès infraliasiques du rhétien, nom un peu barbare donné par les géologues, mais que les anciens nommaient plus communément « les « Monts Faucilles » [47]. Nous aurons l’occasion d’en reparler.
En amont de Meuvy, on peut identifier les cours d’eau suivants du Bassigny :
Le ruisseau du Pré du Chêne et le ruisseau de Pré Chatenay – La Meuse elle-même – Le ruisseau de la Coudre et le Ru Sergent –– Ruisseau sans nom (entre le bois du Travaillot et le bois de Malroy) - Le Ru d’Ouette – Le ru des Fossés – Le ruisseau de l’Etang – Le ruisseau des Hâtes, le ruisseau de Maulain et le ruisseau du Grand Etang –– Le Ruisseau du Soilleron.
En évoquant des « petites vallées très étroites et très escarpées », Buffon veut parler de toutes ces vallées, sur le front de la côte domérienne [48], au pied du Plateau de Langres, qui donnent naissance à des sources de la Meuse. Cela concerne pratiquement tous les cours d’eau rive gauche de la Meuse. Ce sont des cours d’eau « obséquents » [49] de la côte domérienne et donc du Plateau de Langres.
Toujours en amont de Meuvy, on peut identifier les cours d’eau suivants issus de la côte domérienne :
Le ruisseau d’Avrecourt (avec la Fontaine Marchand [50]) – Le ruisseau de Quenevaille – Les ruisseaux de la Gorge et de la Prairie, donnant naissance au ruisseau de Bocheret – Le ruisseau des Aimeguenons – Le ruisseau de Joncourt – Le ruisseau de Saussis et le ruisseau de Rangecourt – Le Viau – Le Ru de Haute Voie – Le ruisseau du Baignovre – Le ruisseau des Noues – Ruisseau sans nom venant du lieu-dit « Entre-Deux Vaux ».
En aval de Meuvy, la Meuse reçoit le Flambard qui, dans le contexte donné par Buffon et Daubenton, peut être considéré comme le premier affluent de ce fleuve, à la suite des sources situées en amont.
Ensuite, la Meuse, après avoir été un cours d’eau « subséquent » [51] du Bassigny devient un cours d’eau « conséquent » [52] du Plateau de Langres, pour arriver à Neufchâteau et faire sa jonction avec le Mouzon [53].
Si Buffon et Daubanton adoptent la théorie des sources multiples, il faut reconnaître que leur définition est plus significative ou, pour le moins, plus exhaustive que les points de vue définissant le village de Meuse comme le lieu de convergence des sources. Le village de Meuse possède la particularité d’être orthographié comme le fleuve, mais sa situation très en amont ne lui permet pas de collecter toutes les sources donnant naissance à la Meuse, si telle était l’intention des géographes partisans des sources multiples.
La carte de la Lorraine de Robert de Vaugondy - 1756
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France - Annotations Jean Gallier
- Carte de la Lorraine de Robert de Vaugondy de 1756
En 1756, Robert de Vaugondy nous apporte une précision importante. Comme Alexis-Hubert Jaillot, il inscrit « Sources de la Meuse » au nord du village de Meuse, mais en utilisant le pluriel, c’est-à-dire qu’il intègre tous les cours d’eau présents. On n’est donc plus dans le registre d’une improbable source de la Meuse « officielle » au village de Meuse.
A noter également que Robert de Vaugondy intègre le ruisseau de Bocheret (D) dans les sources de la Meuse. Ce ruisseau n’est habituellement pas pris en compte [54] par les tenants d’un départ du fleuve Meuse au village éponyme, du fait de sa confluence avec la Meuse en aval de ce village.
La carte de Cassini – 1760-1761
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France _ Annotations Jean Gallier
- Carte de Cassini de 1760-1761
Comme expliqué plus haut, la cartographie franchit une étape décisive avec la carte de Cassini. Cette carte devient exhaustive quant aux ruisseaux alimentant la Meuse, même si leur représentation est encore imprécise. Cependant, il n’y a toujours aucune inscription, en amont du village de Meuse, pour les cours d’eau composant le fleuve Meuse. Aussi, pour identifier ces cours d’eau, cet article fait systématiquement référence aux hydronymes de la carte IGN actuelle, sauf exception dûment signalée.
Comme sur la carte d’Alexis-Hubert Jaillot, la carte de Cassini fait figurer la mention « Source de la Meuse » au nord du village de Meuse, mais nous avons vu que Robert de Vaugondy [55] apporte une explication à ce sujet, en écrivant « Sources » au pluriel.
La carte de Cassini fait apparaître les cours d’eau suivants :
• A- Le tronçon appelé « Meuse » aujourd’hui, venant de Pouilly.
• B- Le ruisseau de Pré Chatenay passant par Dammartin-sur-Meuse et prenant sa source au lieu-dit « le Breuil ».
• C- Le ruisseau d’Avrecourt, prenant sa source à Récourt, à la « Fontaine Marchand », sur le front de la côte domérienne à 420 m d’altitude, pour traverser ensuite Avrecourt et Forfillières.
• D- Le ruisseau de Bocheret, passant à côté de la ferme de Belfays, mais prenant sa (ses) source(s) beaucoup plus au sud-ouest que cette carte ne le représente. Le ruisseau de Bocheret est issu des ruisseaux de la Gorge et de la Prairie.
• E- Le ruisseau de Quenevaille, prenant sa source à Récourt, sur le front de la côte domérienne à 415 m d’altitude, et rejoignant le ruisseau d’Avrecourt (C) au sud du bois de But.
• F- Le Ru Sergent, prenant sa source à la limite de Parnot au « Bois Monsieur », appelé à l’époque « Bois de Saugenet ».
• G- Le ruisseau de la Coudre, affluent du Ru Sergent, prenant sa source à la limite de Parnot, à la « Fontaine de Val ».
- Crédits: Jean Gallier
- La Fontaine de Val
La Fontaine de Val [56] est aujourd’hui matérialisée par une stèle érigée dans les années 1960 et qui, sous l’impulsion de Xavier de la Bruslerie (1922-1987), ancien adjoint à la mairie de Parnot, a eu pour vocation de définir l’emplacement de la source de la Meuse.
Avant cette initiative purement locale, la carte Michelin faisait démarrer la Meuse à Pouilly-en-Basssigny puis, en 1967, cette carte déplace la source de la Meuse à la Fontaine de Val tout en conservant le bras de la Meuse en provenance du centre de Pouilly-en-Bassigny.
- Crédits: Manufacture Française des Pneumatiques Michelin
- Carte Michelin de 1956
- Crédits: © MICHELIN et Cie , propriétaires éditeurs 1967
- Carte Michelin de 1967
La carte de Cassini et la Fontaine de Meuse
La véritable nouveauté de la carte de Cassini réside dans l’apparition de l’inscription « Fontaine de Meuse » dans le village de Pouilly-en-Bassigny. En effet, pour ce qui concerne les sources de la Meuse, c’est la première fois que nous voyons figurer un toponyme à l’origine d’un cours d’eau et, qui plus est, avec l’hydronyme de « Meuse ».
- Crédits: Bibliothèque Nationale de France
- Carte de Cassini de 1760-1761
Le mot « fontaine » désigne une source mais nous ignorons si, au milieu du XVIIIe siècle, il y avait déjà une construction correspondant à cette source, telle que nous la montre le cadastre napoléonien du début du XIXe siècle. Celui-ci représente, sur la place du village, une construction conséquente constituée d’une fontaine proprement dite, d’un lavoir et d’un abreuvoir.
- Crédits: Archives départementales de la Haute-Marne
- Cadastre napoléonien de Pouilly
Le cadastre napoléonien représente très clairement le ruisseau émissaire de ce bâtiment, donnant naissance à ce qui est appelé la Meuse aujourd’hui mais, malheureusement, il n’en représente pas les eaux tributaires.
Tout laisse à penser qu’il s’agit d’une source située à cet emplacement, mais ce n’est pas aussi simple. Au cours des siècles passés les points d’eau alimentant le village ont beaucoup évolué, tant du point de vue des emplacements que des débits. Plusieurs sources et puits artésiens ont existé à différentes époques, puis se sont taris. On peut penser qu’au XVIIIe siècle la « Fontaine de Meuse » était alimentée par une source (comme désignée par le mot fontaine) ensuite, après plusieurs années sèches, celle-ci ne donnant plus assez, un puits artésien a été creusé dans les années 1910 [57], mais visiblement cela n’a pas suffi car les témoignages, transmis à travers les générations, nous rapportent qu’une pompe à godets fut accolée au bâtiment et qu’il fallait pomper pour alimenter le lavoir !
Nous verrons également, dans la suite de ce document, qu’il existe d’autres sources à Pouilly, dont deux convergent au centre du village par voie souterraine, mais les témoignages ne concordent pas ou, pour le moins, manquent de précision quant à la contribution [58] ou non de celles-ci à l’alimentation du lavoir.
Ce lavoir a été détruit en 1964-1965, au moment de l’assainissement. Les anciens du village de Pouilly-en-Bassigny en ont encore un souvenir très précis et nous avons la chance de posséder une photographie du début du XXe siècle de ce bâtiment.
- Crédits: Jeannine Tripotin
- "Fontaine de Meuse"
Comme on le voit sur cette photo, l’exutoire de ce lavoir en direction du « pont de la Meuse » n’est plus visible sur la place du village, car il a été recouvert, probablement à la fin du XIXe siècle. Il s’agit de la partie allant du lavoir, jusqu’au tilleul encore visible aujourd’hui en bordure de la place.
A noter que l’appellation « Fontaine de Meuse » ne devait pas recouvrir la même chose au cours des trois siècles passés. A l’époque de Cassini, ce toponyme devait se rapporter à la source elle-même, puis au corps de bâtiment tel que représenté sur le cadastre napoléonien, lorsque celui-ci a été construit. Au XIXe siècle, Emile Jolibois [59] voit dans cette expression, l’hydronyme du ruisseau partant de Pouilly. Au début du XXe siècle, après que l’exutoire du lavoir ait été recouvert sur la place du village, l’appellation « Fontaine de Meuse » devait désigner la sortie visible de la Meuse, en bordure de la place, à côté du tilleul [60]. Cette sortie visible de la Meuse comprenait également les eaux d’autres sources de Pouilly, arrivant par voie souterraine, comme déjà évoqué plus haut. Nous reviendrons ultérieurement sur ce point.
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A l’emplacement de ce bâtiment figure aujourd’hui le monument aux Morts, et l’écoulement des eaux a été totalement busé [61] jusqu’au lieu-dit « La Nouelle », en direction du « pont de la Meuse ». Il n’y a donc plus de trace visible, au centre du village, de ce qui était appelé « Fontaine de Meuse ». Il faut remarquer également que l’expression « Fontaine de Meuse » a disparu du vocabulaire local pour les personnes qui n’ont pas connu le lavoir, et reste ignorée de celles-ci.
Diderot et d’Alembert– 1765
Dans l’Encyclopédie [62] on peut lire : « Meuse […] grande rivière qui prend sa source en France, dans la Champagne, au Bassigny, auprès du Village de Meuse […] » .
Diderot et d’Alembert n’approfondissent pas davantage le sujet et reprennent la description de Claude-Marin Saugrain.
Les sources de la Meuse au XIXe siècle
Après la période napoléonienne, la cartographie va franchir un nouveau pas sous l’impulsion des militaires, avec l’apparition des cartes d’état-major qui vont apporter la troisième dimension à la cartographie, par la mention des altitudes et la représentation du relief avec des hachures dans le sens de la pente. Ce graphisme va apporter une amélioration notable par rapport à la carte de Cassini qui, elle-même avait déjà consolidé les distances. Cependant, le relevé d’altitude n’en est qu’à ses débuts, et les écarts avec les valeurs réelles sont courants, comme nous allons le voir.
Journal des Mines - 1802
« […]. La Meuse, […] est une des rivières qui sortent de la partie septentrionale de cette chaîne calcaire. Elle a ses sources dans deux petites vallées, celles de Récourt [63] et d’Avrecourt [64] à deux myriamètres nord-nord-est de Langres, et 1,50 nord-ouest de Bourbonne-les-Bains. » [65].
François-David Aynès - 1804
Dans son dictionnaire [66], F.D. Aynès reprend la description des Mines.
« MEUSE (la), Mosa, fleuve de France, lequel prend sa source au départ. de la Haute-Marne, dans 2 petites vallées, celles de Récourt [67] et d’Avrecourt [68], à 20 m. N.N.E. de Langres, * 5 N.O. de Bourbonne-les-Bains. Il prend le nom de Meuse vers les ruines du château de Meuse ; […] ».
Nicolas Desmarest - 1811
« La Meuse, que les Romains ont nommée Mosa est appelée par les Allemands Mase, & et par les Hollandais Maaze. Cette rivière a sa source en Champagne, province de France, à environ six lieues de Langres, près des villages de Meuse & de Montigny-le-Roi, qui est un fort bâti sur une haute Montagne […] » [69].
La carte d’Etat-Major - 1820-1866
- Crédits: Institut Géographique National - Géoportail - Annotations Jean Gallier
- Carte d’Etat Major - 1820-1866
Cette carte reprend la thématique des sources multiples en les affectant ici à deux cours d’eau :
A – Le tronçon, appelé la Meuse aujourd’hui, allant du village de Pouilly au village de Meuse.
B - Le ruisseau de Pré Chatenay passant par le village de Dammartin.
Pour ces deux cours d’eau, le cartographe indique, comme s’il s’agissait de leur hydronyme : « Sources de la Meuse » au pluriel.
Comme indiqué en tête de ce chapitre, les altitudes sont pour la première fois mentionnées, mais avec des erreurs qui vont perdurer pendant près d’un siècle. Nous allons y revenir.
La carte de Jules Barotte - 1845
- Crédits: Archives départementales de la Haute-Marne
- Carte de la Haute-Marne de 1845 par Jules Barotte
Cette carte reprend le fond de carte de la carte d’Etat-Major avec les altitudes, mais en éliminant les indications se rapportant à des sources multiples et en reprenant l’expression « Fontaine de Meuse » de la carte de Cassini. Cette « Fontaine de Meuse » est positionnée à 409 m d’altitude, ce qui va générer un malentendu dans l’interprétation des documents anciens énumérés dans cet article. La « Fontaine de Meuse » était, en réalité, à 398 m d’altitude, soit une erreur d’environ 11 m.
Or il se trouve, par une coïncidence improbable, que l’actuel monument situant la source de la Meuse le long de la D 130b, est à l’altitude réelle de 409 m.
Cette similitude de chiffres malencontreuse nécessite, à chaque fois, une interprétation minutieuse des documents qui ont été écrits au cours du XIXe siècle et au début du XXe, au sujet de la source « officielle » de la Meuse.
La carte géologique (non reproduite ici) d’Ernest Royer et Jules Barotte, publiée entre 1859 et 1863, reprend exactement les mêmes indications.
La Haute-Marne ancienne et moderne : dictionnaire d’Emile Jolibois – 1858 - 1861
Emile Jolibois [70], auteur faisant référence en Haute-Marne, illustre la difficulté d’identifier la source de la Meuse ; voici ce qu’il nous indique :
• A la rubrique « Pouilly », on peut lire l’explication suivante :
« […]. C’est dans le village même, à 409 m [71] d’altitude, que commence la Meuse par un ruisseau dit Fontaine-de-Meuse » [72].
• A propos de la Meuse, il écrit ceci :
« MEUSE, fleuve qui porte ses eaux dans la mer d’Allemagne. Il se forme sur le territoire de la commune de Meuse, de diverses sources qui sortent de Récourt, Forfillières, Dammartin et Pouilly ».
Remarque : si Forfillières est cité, Avrecourt ne l’est pas. D’une façon générale, les auteurs ont du mal à situer la source du ruisseau d’Avrecourt [73].
- Crédits: Archives départementales de la Haute-Marne - Annotations Jean Gallier
- Carte de la Haute-Marne d’Emile Jolibois de 1861
A la fin de son ouvrage, Emile Jolibois propose une carte [74] qui ne nous en apprend pas plus. On y voit quatre cours d’eau au tracé très imprécis : le ruisseau de Bocheret (D), le ruisseau de Quenevaille (E) qui pourrait tout aussi bien être le ruisseau d’Avrecourt (C), le ruisseau de Pré Chatenay (B), et la Meuse actuelle (A).
Adolphe Joanne - 1872
« MEUSE. Ce fleuve naît au v. de Pouilly […] (Haute-Marne) à 409 m [75]. » [76].
Ce géographe, est bien connu pour ces petits fascicules départementaux destinés aux classes primaires.
Le Larousse du XIXe siècle – 1874 et éditions suivantes
Un siècle après Diderot, le Larousse du XIXème siècle reprend la même thèse : « Meuse, en latin Mosa, […] prend sa source au village de Meuse […] ».
Puis, près d’un siècle plus tard, en 1963 et 1970, cette encyclopédie nous indiquera :
« […] La Meuse prend sa source à Avrecourt, au pied du Plateau de Langres (Haute-Marne), à 384 m d’altitude […] ».
En 1979, le libellé ne fait plus mention du lieu :
« […] La Meuse naît au pied du Plateau de Langres, à 384 m d’alt. et coule vers le N.[…] ».
Nous ne savons pas si le Larousse fait référence au ruisseau d’Avrecourt lui-même ou à l’un de ses affluents. S’il s’agit du ruisseau d’Avrecourt tel que le décrit le chanoine Drioux [77], nous ne voyons pas à quoi correspond la cote 384…
Jules Verne – 1879
Jules Verne [78] emboîte le pas au Larousse du XIXe siècle :
« La Meuse qui prend sa source au village de ce nom, dans le canton de Montigny-le-Roi, au N. de l’arrondissement de Langres, coule vers le N. […] ».
La carte d’Etat-Major type 1889 révisée,en 1897
- Crédits: Jean Gallier
- Carte d’Etat-Major type 1889
Cette carte est très proche de la carte de Jules Barotte de 1845. La « Fontaine de Meuse » de Pouilly est toujours mentionnée à 409 m [79] d’altitude.
Il y a également une annotation supplémentaire avec le mot « Source » au nord du village. Il s’agit d’une autre source semi-artificielle, captée par un puits à l’extrémité nord de la rue d’Araize (côté Est de la rue - Voir le plan de Pouilly dans "Documents"). Cette source était utilisée pour alimenter un ancien lavoir qui se trouvait de l’autre côté de la rue d’Araize (côté Ouest). Ce lavoir a été détruit lors de l’assainissement, dans les années 1964-1965 et l’eau de la source s’évacue maintenant par une canalisation souterraine empruntant la rue d’Araize et la rue Dampary pour déboucher juste en aval du « pont de la Meuse ». Se reporter au tracé hydrographique dans la suite de cet article.
Onésime Reclus – 1899
A la suite de Buffon et Daubenton [80], ce célèbre géographe [81] donne une description géomorphologique très précise de l’emplacement de la source de la Meuse, mais avec cette différence importante qu’il s’en tient à une source unique :
« La Meuse […] a sa source première à 409 m [82], au pied de collines reliant les Faucilles [83] à ce Plateau de Langres […]. Inaugurée à six lieues au nord-est de Langres […] elle coule très petitement, dans un val qui fut à lui seul le Bassigny […] ».
Cette description fait référence à la « Fontaine de Meuse » de Pouilly, mais toujours avec l’altitude erronée de 409 m [84].
Onésime Reclus parle d’une « source première ». Nous approfondirons cette notion en fin de cet article.
Les sources de la Meuse au XXe siècle
Jusqu’à la fin du conflit de 14-18, la cartographie subira peu d’évolution par rapport au XIXe siècle.
Même si la carte d’Etat-Major a gagné considérablement en précision, elle est encore loin d’être exhaustive en ce qui concerne les petits cours d’eau. Et, pour ce qui nous intéresse, il n’y a toujours aucun hydronyme pour les rivières en amont du village de Meuse.
Pour le relief, tout change avec l’arrivée de l’aviation qui va permettre l’utilisation généralisée de la photogrammétrie [85]. Cette technique va nous apporter les cartes avec les courbes de niveau, telles que nous les connaissons aujourd’hui. Actuellement la photographie satellitaire reprend le même principe.
Paul Vidal de la Blache - 1902
Cet autre géographe [86], très connu des écoliers du début du XXe siècle, pour ses cartes murales de la France, reprend la même définition que celle d’Onésime Reclus :
« La Meuse […] naît par 409 mètres [87] d’altitude dans l’intervalle des Faucilles [88] et du Plateau de Langres […] ».
A noter que cet intervalle, compris entre les Monts Faucilles et le Plateau de Langres, n’est autre que le Bassigny [89].
La carte du Ministère de l’Intérieur - 1906
- Crédits: Jean Gallier
- Carte du Ministère de l’intérieur de 1906
Cette carte [90] détaillée, qui s’appuie sur la carte d’Etat-Major, nous indique à Pouilly la « Fontaine de Meuse » à 409 m [91] d’altitude, ainsi qu’une autre source au nord de la rue (Voir le plan de Pouilly dans "Documents"), comme déjà signalée sur la carte d’Etat-Major type 1889.
Résumé de la situation à l’aube du XXe siècle
Jusqu’à maintenant les géographes se répartissent approximativement en trois familles :
• Ceux qui font démarrer la Meuse au village de Meuse à partir de divers ruisseaux, ou non, sans autre précision.
• Ceux qui identifient les ruisseaux d’Avrecourt (C) et de Quenevaille (E) comme étant à l’origine de La Meuse, mais sans préciser la source de ceux-ci.
• Et enfin, ceux qui situent la source de la Meuse à la « Fontaine de Meuse », au centre du village de Pouilly en Bassigny.
Et, en parallèle de ces trois courants, nous relevons cinq exceptions :
• L’ensemble des ruisseaux en amont de Meuvy, comme le suggèrent Buffon et Daubenton.
• Le ruisseau de Pré Chatenay (B), passant par Dammartin et prenant sa source au lieu-dit « Le Breuil », mentionné par la carte d’Etat-Major de 1820-1866, comme étant l’une des sources de la Meuse, avec le ruisseau venant de Pouilly.
• La source située au nord de la rue d’Araize à Pouilly-en-Bassigny, signalée sur la carte d’Etat-Major type 1889 et sur la carte du Ministère de l’Intérieur de 1906.
• La « Fontaine Marchand » à Récourt, une des sources du ruisseau d’Avrecourt (C), proposée par Bernard Bézy, ancien maire de Récourt.
• La « Fontaine de Val » à Parnot, source du ruisseau de la Coudre (G), proposée par Xavier de la Bruslerie, ancien adjoint à la mairie de Parnot.
La carte du département de la Haute-Marne - 1934
- Crédits: Jean Gallier
- Carte du département de la Haute-Marne de 1934
Cette carte indique en toutes lettres « Source de la Meuse » à Pouilly en Bassigny et non pas « Fontaine de Meuse » comme sur les cartes précédentes. Nous savons, par ailleurs, que le bâtiment de la Fontaine de Meuse n’a été démoli que plus tard, dans les années 1964-1965.
Alors, s’agit-il d’un simple changement de libellé ou de la désignation d’une autre source à Pouilly ?
Le paragraphe suivant peut nous apporter une réponse.
Le cadastre de Pouilly-en-Bassigny de 1936
- Crédits: Mairie de Pouilly-en-Bassigny - Annotation Jean Gallier
- Cadastre de Pouilly-en-Bassigny de 1936
Ce document, à très grande échelle, indique comme source de la Meuse, une source semi-artificielle située rue Maillouze (Voir le plan de Pouilly dans "Documents"). Cette source apparaît dans un puits creusé dans la cave d’une propriété privée (ne se visite pas). Les eaux de cette source sont évacuées par un canal en pierres souterrain, sous la rue Maillouze, et rejoignant le centre du village. Se reporter au tracé hydrographique dans la suite de cet article.
Voici donc une nouvelle source bien réelle, et mentionnée pour la première fois sur un document officiel.
La carte IGN de 1950
- Crédits: Institut Géographique National - Géoportail
- Carte IGN de 1950
L’arrivée des cartes de l’Institut Géographique National (IGN) [92] va faire avancer la cartographie de façon décisive, avec les courbes de niveau et des altitudes exactes. Mais, pour ce qui nous intéresse, nous allons voir que la source de la Meuse (au singulier) va encore se déplacer au fur et à mesure des mises à jour successives…
En 1950, même si le lavoir existe encore sur la place du village, l’appellation « Fontaine de Meuse » a définitivement disparu de la cartographie officielle, au profit de l’inscription « Sce de la Meuse » [93]. Mais, nous ne savons pas si l’inscription se rapporte à la « Fontaine de Meuse » ou à la source de la rue Maillouze, telle qu’indiquée sur le cadastre de 1936.
La carte IGN de 1955
- Crédits: Institut Géographique National - Annotation Jean Gallier
- Carte IGN de 1955
En 1955, l’inscription « Sce de la Meuse » [94], au nord de la rue Maillouze, est conservée, mais avec la même ambiguïté que sur la carte de 1950 : nous ne savons pas si cette inscription se rapporte à la « Fontaine de Meuse » ou à la source de la rue Maillouze.
Par contre, la nouveauté réside dans l’apparition de l’inscription « Sce Captée » au sud-est du village, le long de l’actuelle D130b.
Si l’inscription est nouvelle, la source l’est beaucoup moins, car il s’agit d’une source semi-artificielle captée par un puisard datant des années 1880. Cette source est à l’altitude réelle de 409 m, à ne pas confondre avec l’altitude erronée de 409 m [95] mentionnée sur les anciennes cartes pour la « Fontaine de Meuse » au centre du village.
Ce captage a été effectué, à l’époque, pour alimenter un lavoir rue Maillard, via une ancienne canalisation [96] à travers la prairie. Cette canalisation a disparu mais le lavoir est conservé dans une propriété privée (ne se visite pas).
Aujourd’hui l’eau de cette source emprunte le fossé Est de la D130b, pour être reprise par un busage à l’entrée du village, puis par un canal en pierres souterrain sous la rue Maillard, conduisant au centre du village. Se reporter au tracé hydrographique dans la suite de cet article.
Ci-dessous, le puisard tel qu’il existait à cette époque, bien que la photo n’ait été prise qu’au moment de l’édition de cette carte.
- Crédits: Jeannine Tripotin
- Source captée le long de la D130b
Résumons
Depuis la fin du XIXe siècle, nous avons trois sources semi-artificielles existantes à Pouilly-en Bassigny :
• La source au nord de la rue d’Araize,
• La source de la rue Maillouze
• La source le long de la D130b.
Il faut préciser ici qu’un très grand nombre de puits existent par ailleurs dans le village et dans les prairies, mais ils ne peuvent pas être comptabilisés comme source du fait qu’il faut une action mécanique pour en extraire l’eau.
Les fossés de drainage
- Crédits: Jean-Claude Dormoy
- Fossé du Paramelle
- Fossé du Paramelle aujourd’hui. La photo est prise en regardant vers l’aval, avec la rue Maillouze en arrière plan. Les eaux du Paramelle sont maintenant captées par un busage juste avant la rue Maillouze, comme le montre cette photo.
Nous venons de voir l’existence, sur Pouilly, de trois sources semi-artificielles donnant naissance à la Meuse, mais il faut considérer aussi l’eau apportée par les fossés de drainage [97], notamment depuis le remembrement agricole [98]. Par temps de pluie, ceux-ci peuvent apporter autant d’eau à la Meuse, que les sources elles-mêmes. Ils font partie du système hydrographique alimentant la Meuse et on retrouvera leur tracé sur une carte, dans la suite de cet article.
Un fossé particulier, existant depuis le XIXe siècle, et appelé fossé du Paramelle [99], jouait déjà un rôle important dans l’alimentation de la Meuse, bien avant le remembrement agricole.
Ce fossé draine à lui seul tout l’Est du village depuis la ligne de partage des eaux.
Jusqu’à l’assainissement en 1964-1965, il parcourait une partie de la rue Maillouze à l’air libre [100], avant de mélanger ses eaux avec celles de la source de la rue Maillouze, puis avec celles de la source de la D130b. Le tracé ci-après, effectué à partir d’une photo aérienne de 1949, sera plus explicite.
Cette photo montre aussi très bien l’ancien lavoir sur la place du village.
- Crédits: Institut Géographique National - Géoportail - Annotations Jean Gallier
- Vue aérienne de Pouilly de 1949
- Illustration des textes de Marcel Thiry (1939) et Roger Gillard (1962).
Retour en 1939 avec Marcel Thiry
En 1939, Marcel Thiry (1897-1977), écrivain belge, nous conte les paysages de Meuse dans son livre « La Meuse française, belge, hollandaise » [101]. Voici comment il décrit la naissance de la Meuse.
- Crédits: Jean-Claude Dormoy
- La croix en pierre.
- Les six saules sont en fait... six tilleuls, et ceux-ci ne sont plus que cinq aujourd’hui !
Le fossé du Paramelle est à droite de la photo, entre les deux clôtures. La photo est prise en regardant vers l’amont.
« […] la source est à Pouilly, entre Bourbonne et Montigny-le-Roy […].
Le pays s’appelle le Bassigny, région pauvre, où les cultures sont coupées de forêts, le sapin s’y mélange au bois de hêtres et de chênes, et marque le paysage d’une note répétée de tristesse. […] Ce haut plateau d’où descendent les fleuves a quelque chose d’anonyme, de général, de vague, on ne sait quelle grisaille de limbes.
Où la Marne prend naissance, on visite la grotte d’Eponine et de Sabinus ; les sources de la Seine ont leur monument par Jouffroy. Il n’y a pas de tradition légendaire ni de monument à la source de la Meuse. Ou plutôt il y a bien un autel, et des plus émouvants, mais qui n’a pas été édifié à sa gloire.
Le village de Pouilly monte en pente douce, depuis sa belle église du XIVe siècle, par un chemin bordé de maisons basses et qui va se perdre dans les champs. A la sortie du pays, un pré mal clôturé se soulève un peu ; c’est à peine un tertre ; on le remarquerait mal s’il n’était pas sommé d’une très ancienne croix de pierre qu’encadrent six vieux saules [102]. Les arbres font une voûte en ogive au-dessus de la croix ; du chemin qui passe en faible contrebas, on voit le monument pieux s’élever en plein ciel, entre les six piliers qui unissent leurs branches en arcade élancée.
Au pied du mamelon s’ouvre un fossé, où coule entre les herbes une eau rare et intermittente. C’est la Meuse. Dès qu’elle atteint les premières maisons, elle disparaît, canalisée tout le long de la rue sous d’épaisses dalles brutes. Puis, franchie la place près de l’église, elle revient au jour, déjà grossie – plus d’un mètre de large ! – dans un lit encaissé que bordent des saules têtards. Et c’est vers le nord-ouest qu’elle prend son cours.
[…]. De Pouilly, à travers champs, il (le cours du fleuve NDLR) gagne la lisière du hameau de Malroy qu’il évite ; puis il oblique vers l’ouest. C’est qu’il lui faut aller chercher son nom à ce village dont on aperçoit de loin les toits gris autour de l’église, à Meuse.
[…]. Mais Meuse est sur une éminence que l’eau doit contourner en longeant la grand’route ; […].
A hauteur du chemin de fer qui l’enjambe, brusquement elle fait un coude. Un Moulin se place là, le premier, à qui suffira son flot renforcé. C’est qu’à cet endroit même elle reçoit son premier affluent, un ruisseau tout pareil à elle-même, descendu d’Avrecourt. J’avise le garde-barrière, […]. Je lui demande le nom [103] de cette eau qui passe à sa porte.
Oh ! ça n’a pas de nom… Des eaux comme ça, Monsieur, par ici il en sort de chaque pré.
Et c’est vrai : cette grande éponge du plateau de Langres filtre par tous ses fossés des eaux qui vont au loin former des provinces. Pourtant, ce flux-ci n’est pas parmi les plus modestes. Venu du sud, il rallie à sa direction cette Meuse qui s’en allait conquérir l’Occident. Désormais la route est au nord. »
Quelques explications.
Malgré la confusion des six tilleuls avec « six vieux saules » (Cf. le renvoi bas de page à ce sujet), Marcel Thiry a observé le fossé du Paramelle lorsqu’il écrit : « Au pied du mamelon s’ouvre un fossé, où coule entre les herbes une eau rare et intermittente. C’est la Meuse ». Ensuite sa description nous amène rue Maillouze, puis sur la place du village où, en bordure de celle-ci, il constate que la Meuse « revient au jour, déjà grossie – plus d’un mètre de large ! – dans un lit encaissé que bordent des saules têtards ». En effet, convergent également sur la place du village, par voies souterraines, les eaux de la source de la rue Maillouze, ainsi que les eaux de la source située le long de la D130, qui s’additionnent à l’écoulement du fossé du Paramelle.
On peut noter, par ailleurs, que Marcel Thiry est passé obligatoirement devant le lavoir [104], mais qu’il n’en parle pas. De même, il n’utilise pas l’expression « Fontaine de Meuse » [105], il s’en tient à la naissance de la Meuse dans le fossé du Paramelle. Cependant on ne peut pas lui faire le reproche d’ignorer les autres sources, car elles lui étaient invisibles, puisque mêlant leurs eaux à celles du Paramelle en souterrain.
En arrivant au village de Meuse, il découvre que la Meuse « reçoit son premier affluent, un ruisseau tout pareil à elle-même, descendu d’Avrecourt ». Il s’agit, évidemment, du ruisseau d’Avrecourt, grossi de ses propres affluents. Au regard de la description donnée par Marcel Thiry on ne s’étonnera pas que le ruisseau d’Avrecourt fût un « concurrent » sérieux à la Meuse actuelle, d’autant que ce cours d’eau « venu du sud, rallie à sa direction cette Meuse qui s’en allait conquérir l’Occident. Désormais la route est au nord ».
Roger Gillard - 1962
C’est à nouveau un écrivain belge, Roger Gillard, auteur du livre « Tranquille coule la Meuse » [106], qui visite Pouilly en septembre 1962. Voici comment il découvre la source de la Meuse :
« […]. De graves livres l’affirment : la Meuse jaillit à Pouilly dans le village même, où elle s’échappe d’une fontaine dite fontaine de Meuse. Nos doctes mentors nous tromperaient-ils ? Ou ne nous éclaireraient-ils qu’à demi ? Procès à la géographie : le journalier moustachu, que j’avais sans vergogne arraché à sa haie jugea cette explication de la source de la Meuse très minable. Aussi il résolut de redresser mon savoir.
Regardez ces champs tout autour. Des champs ? Un marécage oui. Elle sue c’te terre-là. De tout son corps, par tous les pores, comme une vraie paysanne qu’elle est. Vous les voyez, ces mares ? Autant de mamelles où la Meuse vient téter. Les voilà, les sources de la Meuse.
C’est ainsi qu’en une très douce après-midi de septembre 1962, j’avais lié connaissance, au vert pays de Bassigny, avec un rougeau sympathique. Ce bougre avait de la faconde à revendre ; je décidai qu’il était lorrain de vraie souche. […].Je lui dis au revoir […] et je pris le chemin des sources de la Meuse.
En fait, ces multiples et minuscules étangs que, si complaisamment, m’avait décrits mon Lorrain, ne sont que les exutoires de nombreux canaux souterrains, ramification de la mystérieuse fontaine cachée qui s’est construite, au cours des millénaires, dans les entrailles du plateau. Nul ruisselet ne dérive de ses dormantes eaux ; on ne peut donc, à proprement parler, les appeler des sources. Naissances ratées, Meuses mort-nées, elles sont autant de cris d’espoir de l’enceinte, le témoignage de son ardent et dévorant désir d’enfantement.
Et pendant ce temps-là, les canaux souterrains cherchent leur voie dans l’ombre. Combien de ces ruisseaux sauvages, indomptés, que nous ne connaîtrons jamais, courent dans le ventre du Bassigny ? Ils appartiennent à un monde prodigieux, interdit : celui de la conception, de la gestation.
Mais voici qu’approche l’ultime seconde ! Les aveugles canaux se précipitent l’un dans l’autre, l’enceinte décuple son effort. Alors éclate le miracle. Au nord-est de Pouilly, au sortir même du village, une eau crève le sol, qui donne la vie à un ruisseau. Meuse éphémère, toutefois ! Au terme d’un parcours d’une centaine de mètres, elle rentre dans la terre, happée par un conduit. Mais c’est pour resurgir bientôt, sur la place du village, là où, enfin, elle naît officiellement.
Lors, le cœur battant, d’une douce émotion, j’avais porté mes pas vers la fontaine de Meuse.
Les pathétiques fonts baptismaux ! Le Rhône et le Rhin, grands seigneurs, jaillissent des cimes du glacier ; la Loire, dès son premier balbutiement, se voit honorée d’une stèle ; la Meuse, elle, naît à l’humble altitude de 405 mètres [107] et elle n’a pour envelopper son berceau qu’un tilleul centenaire, une écharpe d’herbes rêches et un mur fatigué. Dans cette couche frustre, où s’éveille une eau sans murmure, d’espiègles gallinacés glougloutent joyeusement. Jésus avait choisi pour naître la mangeoire d’un âne ; la Meuse a choisi pour sourdre un abreuvoir de dindons.
Le pauvre, le grand commencement ! Je m’étais approché des pierres fatiguées ; sur la source pathétique, mes yeux s’étaient penchés […] ».
Quelques explications.
En se référant à la vue aérienne de 1949 [108] (ci-dessus), Roger Gillard a observé l’entrée du fossé du Paramelle, rue Maillouze, lorsqu’il écrit : « Au nord-est de Pouilly, au sortir même du village, une eau crève le sol, qui donne la vie à un ruisseau. ». Mais cette description enthousiaste contraste [109] avec celle de son compatriote Marcel Thiry [110] qui voit plutôt « une eau rare et intermittente couler entre les herbes ».
Ensuite la description est pratiquement identique à celle de Marcel Thiry, pour arriver à la sortie souterraine de la Meuse sur la place du village, au pied du « tilleul centenaire ».
Comme Marcel Thiry, Roger Gillard ne pouvait voir, ni les eaux de la source de la rue Maillouze, ni les eaux de la source située le long de la D130b, qui arrivent par voie souterraine au centre du village en s’additionnant à celles du fossé du Paramelle ; mais Roger Gillard aurait pu remarquer que la sortie de la Meuse avait un débit supérieur à celui du seul fossé du Paramelle !
De même, Roger Gillard passe devant le lavoir [111] sans le mentionner. Par contre, à la différence de Marcel Thiry, il parle bien de la « Fontaine de Meuse » [112], et pour lui, il ne fait aucun doute que l’appellation « Fontaine de Meuse » se rapporte à la sortie souterraine de la Meuse au pied du tilleul, en bordure de la place, et pas du tout au lavoir.
Il est probable aussi que depuis l’adduction d’eau en 1957-1959, ce lavoir devait être laissé à l’abandon, ce qui expliquerait qu’il n’ait pas retenu l’attention de Roger Gillard.
Le « tilleul centenaire » existe toujours et il est bien parti pour son bicentenaire. Par contre, le visiteur ne peut plus voir la Meuse au centre du village, car celle-ci a été busée jusqu’au lieu-dit « La Nouelle », au moment de l’assainissement en 1964-1965, en même temps que la démolition du lavoir. Il ne faut donc pas s’étonner que l’expression « Fontaine de Meuse » ait pratiquement disparu du vocabulaire des habitants de Pouilly ; cependant Roger Gillard ne l’a pas inventée…
Ainsi, quelle que soit la définition [113] donnée à la « Fontaine de Meuse », Roger Gillard a été l’un des derniers visiteurs à l’avoir vue en 1962.
Le visiteur d’aujourd’hui peut identifier, sur la place du village, l’endroit où se situait la « Fontaine de Meuse » décrite par Roger Gillard, avec la grille et la plaque en fonte situées à droite du tilleul.
- Crédits: Jean-Claude Dormoy
- Le tilleul centenaire en bordure de la place du village
- La photo est prise en bordure de la place du village, en regardant plein ouest. Avant les travaux d’assainissement, la Meuse débouchait au droit du tilleul centenaire, à l’emplacement de l’actuelle grille en fonte, et poursuivait son parcours à l’air libre en direction du "pont de la Meuse". Après busage, les canalisations ont été recouvertes de verdure, comme le montre cette photo.
L’épopée de l’abbé Justin Evrard - 1967
Il faut savoir que la Meuse en Belgique revêt un intérêt bien supérieur à ce qu’il est en France. Le port autonome de Liège est le troisième port fluvial d’Europe. Aussi, l’identification de la source de la Meuse avait, pour nos amis belges, une importance que l’on pourrait qualifier d’affective, alors que, dans notre pays, ce sujet restait anecdotique, quand il ne laissait pas indifférent.
C’est un prêtre belge du nom du Justin Evrard (1909-1991) [114] qui décida, en 1967, de s’atteler à cette tâche difficile d’identifier la source officielle de la Meuse.
Son arrivée à Pouilly en 1967 est décrite par Laurent Thomassin et Jean Simeant dans le Journal « La Haute-Marne Libérée » [115] du 29/01/1971. Cet article replace la démarche de l’abbé Evrard dans le contexte hydrographique de Pouilly de cette époque : en 1967, la « Fontaine de Meuse » n’existe plus et il n’y a plus trace visible des eaux du fleuve au centre du village.
« En collaboration avec la Belgique et la Hollande.
Un monument sera élevé à la source de la Meuse.
Pouilly-en-Bassigny – Situé en plein sur la ligne de séparation des eaux, Pouilly-en-Bassigny est le point de départ de la Meuse, grand fleuve de 950 kilomètres, qui s’en va se jeter dans la mer du Nord, après avoir traversé le Nord-Est de la France, la Belgique et la Hollande.
Trois sources la créent :
• L’une sort de terre dans le village même, devant la maison de M. Piot et alimentait, par une conduite en bois, [116] le lavoir de la place publique, appelé « Fontaine de Meuse » [117].
• Une autre voit le jour le long du C.D. 130 (route de Damrémont), au lieu-dit « La Praye » et servait au lavoir de la rue Maillard.
• La troisième prend naissance au nord de Pouilly et fournissait le lavoir de la rue d’Araize.
Les travaux d’assainissement ont fait disparaître les points de rendez-vous des loquaces lavandières et aujourd’hui les trois sources, dédaignées par l’adduction, sont tout bonnement encaissées et viennent mêler leurs eaux, formant du coup un semblant de cours d’eau qui va bientôt se trouver grossi à Malroy, puis à Meuse suivant le principe que les petits ruisseaux…
- Crédits: Jane Vanherek
- Abbé Justin Evrard
- Photo prise sur le site du monument à la source 1 de la Meuse
Chaque année de nombreux touristes belges, hollandais, français, luxembourgeois et même des allemands, remontent le fleuve et viennent à Pouilly voir comment démarre la Meuse.
Il y a trois ans de cela, l’un deux, un prêtre belge, l’abbé Evrard, professeur à Liège, faisait connaissance avec le village en s’aidant d’un livre consacré à la Meuse et écrit par Roger Gillard [118] […].
Déambulant dans Pouilly, il avisait un groupe d’enfants pour obtenir des renseignements. Une fillette dit alors : « C’est mon papa qui est maire ».
Et bien ! Allons voir le maire.
M. Dormoy l’accueillait dans sa cour ; mais comme une averse est survenue, il l’invitait à rentrer chez lui.
Là, nouant connaissance, charmé de l’accueil, ébauchait un projet pour lequel il allait se dévouer.
Dehors, l’eau ruisselait, commençant son voyage de 950 km.
On est allé à « La Praye » ; au comble de l’exaltation, l’abbé Evrard glissait et tombait dans la source.
La Meuse saluait son ami en laissant des traces d’argile au pantalon sans calmer le moins du monde son enthousiasme.
Cette anecdote mérite de passer à la postérité.
Depuis trois ans, l’abbé Evrard est revenu régulièrement et son projet a pris corps au fil des visites.
Il s’agissait de mettre en route l’érection d’un monument définissant une bonne fois pour toutes l’emplacement de la source de cette rivière internationale, ayant été mêlée à bien des reprises à l’histoire de l’Europe.
Il signalera en fait, le premier coteau qui s’égoutte dans la mer du Nord.
Dès l’abord, les villes de Liège et de Namur se montraient favorables à cette réalisation.
Par de multiples démarches, l’abbé Evrard avait finalement l’assurance qu’il était suivi.
Il restait à vaincre les réticences de M. Dormoy, maire, dont le budget était déjà lourdement grevé par les grands travaux communaux.
Sentant la population derrière lui, (l’unanimité se faisant au conseil municipal), la participation communale devenait effective.
Puis, partout on se montrait intéressé et l’on peut aujourd’hui avancer que le monument sera élevé grâce à une collaboration française, belge et hollandaise.
Sur le plan départemental, on n’est pas resté inactif et les pouvoirs publics ont donné leur accord.
[…].
Et c’est ainsi que la guerre des sources de la Meuse aura pris fin [119] ».
Nous avons également le témoignage de la Belgique avec l’article de Franck Destrebecq qui retrace la vie de l’abbé Justin Evrard dans le journal « Le Soir » du 08/02/1991.
« Justin Évrard, géographe et curé liégeois.
La Meuse l’avait choisi comme confident : elle lui a dévoilé ses sources.
Vicaire à Mons-lez-Liège en 1932, puis curé à Souxhon (Flémalle) après la Seconde Guerre mondiale, Justin Évrard décédait au début de cette année : un « personnage » hors du commun, selon tous les témoignages recueillis. Outre son dévouement pour ses ouailles (loué par le maïeur flémallois André Cools [120], mais oui !) il était surtout connu pour les recherches qui lui ont permis d’identifier la véritable source de la Meuse.
Amoureux du fleuve qui a inspiré tant d’écrivains français (Péguy, Rimbaud...) et, plus près de chez nous, Georges Simenon, tel Abraham promettant l’eau à Israël dans le désert biblique, il fait un jour le serment à ses paroissiens d’en découvrir l’origine.
En 1967, sa quête, devenue une véritable obsession, l’amène à Pouilly-en-Bassigny. […]. Le concitoyen d’André Cools n’est cependant pas au bout de ses peines... Les sources foisonnent dans la région et les recherches de Justin Évrard passionnent rapidement plusieurs villages qui, tous, revendiquent la véritable origine de la Meuse... Fi de ces querelles... de clocher [121] : l’abbé retrousse ses manches. La pioche dans une main, la baguette de coudrier [122] dans l’autre, il met tout le monde face à ce qui s’avère être la réalité : avec l’aide d’enfants de Pouilly, il met à jour [123] une source située à 486 mètres [124] d’altitude, soit la plus haute et la plus « éloignée »... des controverses paysannes. La Meuse l’avait manifestement choisi comme confident : sa découverte est bientôt authentifiée par l’institut national de géographie français.
- Crédits: Patrick Ledoux
- Monument de la source 1 de la Meuse
L’abbé Évrard n’en reste pas là. Il entreprend de réunir les fonds nécessaires à l’érection d’un monument sur le site, à l’instar de ce qui a été réalisé pour les autres grands fleuves européens. Sollicités, les plus importants ports et cités mosans apportent leur obole. L’inauguration a lieu le 30 mai 1980 [125]. Au centre du monument, une plaque coulée par un industriel [126] de Flémalle retrace l’intégralité du parcours de la Meuse, depuis Pouilly jusqu’au delta néerlandais dans lequel elle se jette en même temps que le Rhin, en passant par la Belgique.
[…] »
C’est ainsi que la source, identifiée pour la première fois sur une carte en 1955, devient la source officielle de la Meuse par la ténacité de l’Abbé Justin Evrard, et se concrétise par l’inauguration du monument en 1980. On trouvera en renvoi bas de page [127] deux articles du Journal de la Haute-Marne relatant cet évènement.
Le monument a été construit directement sur le puisard du XIXème siècle.
Cette épopée aura donc eu un heureux dénouement et l’absence de stèle, regrettée par Marcel Thiry [128] et Roger Gillard [129], sera devenue réalité par la volonté de leur compatriote Justin Evrard.
- Crédits: http://meuse-histoire-balade.e-monsite.com/pages/source-et-parcours.html
- Plaque inférieure du monument de la source 1 de la Meuse
A noter qu’une autre plaque en bronze, située en dessous de la précédente, stipule qu’il s’agit de la « Source 1 de Pouilly » à Châtelet-sur-Meuse [130]. On chercherait en vain les numéros suivants sur une carte, mais nous allons voir au paragraphe « Etude de définition pour l’aménagement écologique et touristique de la source de la Meuse » que cette étude propose une numérotation pour les autres sources de la Meuse sur le bassin hydrographique de Pouilly.
La carte IGN de 1978
- Crédits: Institut Géographique National - Annotation Jean Gallier
- Carte IGN de 1978
Nous ne sommes pas encore en 1980, date de l’inauguration du monument, mais on peut déjà constater les évolutions de l’hydrographie sur Pouilly depuis 1955, et surtout depuis 1962.
En 1978, le lavoir sur la place du village n’existe plus et la Meuse est busée [131] à la suite du canal en pierres souterrain, jusqu’au lieu-dit « la Nouelle ». Aussi, après la disparation de l’indication « Fontaine de Meuse », l’inscription « Sce de la Meuse » au centre du village, disparaît à son tour de la cartographie et de fait, la source de la rue Maillouze est également absente.
Le libellé « Sce captée » le long de la D130b, mentionné sur la carte de 1955, est remplacé simplement par l’inscription « Source » . Cette même source qui deviendra la source officielle de la Meuse en 1980.
La saga continue...
Plusieurs ouvrages et cartes ont été publiés depuis l’inauguration du monument désignant la source officielle de la Meuse. Il est intéressant d’en prendre connaissance pour les nuances ou précisions qu’ils apportent.
Jean Salmon - 1980
L’abbé Jean Salmon [132] publie en 1980 un opuscule ayant pour titre : « Le Bassigny source de la Meuse » [133]. Voici ce qu’il écrit :
« Combien à lui seul, ce simple nom de Meuse évoque de pages illustres mais souvent bien tristes, de notre histoire de France ! […]. Sait-on seulement que les eaux de la Meuse, qui vont se perdre jusque dans la mer du Nord, en passant chez nos amis belges, viennent des belles prairies du Bassigny, qui s’étalent au pied du bourg, appelé, pendant la Révolution, Montigny-source-Meuse, et aujourd’hui : Montigny-le-Roi ».
Puis, concernant Pouilly-en-Bassigny, il précise :
« C’est sur le territoire de ce village (route D. 130b), autrefois de la généralité de Champagne, et maintenant du département de la Haute-Marne, qu’un monument a été élevé, en bordure de la route, pour rappeler au passant que c’est de ce coin du Bassigny que partent les eaux de la Meuse ».
Jean Salmon nous parle ensuite de la vallée naissante de la Meuse :
« […] Bourmont regarde passer, à ses pieds, cette petite « endormeuse » de Meuse, qui vient enfin de devenir rivière, grâce à l’apport des eaux de tous les petits ruisselets de la région. A partir d’ici, son lit, tout sinueux, bordé de verdoyantes et riches prairies, a enfin sa vallée, bien à elle, largement ouverte sur les pays d’Outre-Rhin ».
Remarque.
Pour Jean Salmon, la Meuse ne prend sa pleine mesure qu’à Bourmont. Ce point de vue rejoint celui de Buffon et Daubenton pour qui « […] les sources de la Meuse sortent en partie des marécages du Bassigny, et d’autres petites vallées très étroites et très escarpées ». Vu sous cet angle, on peut effectivement descendre le cours de la Meuse jusqu’à Bourmont. Cependant, à cette latitude, la Meuse a déjà largement entamé la côte domérienne et donc le Plateau de Langres, raison pour laquelle nous avons limité la zone des sources en amont de Meuvy afin de rester sur le plateau du Bassigny [134].
La carte IGN de 1987 et 2018
- Crédits: Institut Géographique National
- Carte IGN de 1987
- Crédits: Institut Géographique National - Annotation Jean Gallier
- Carte IGN de 2018
En 1987, l’IGN prend acte du fait que la source, située le long de la D130b, devient la « Source n°1 de la Meuse », et ce libellé est conservé en 2018.
A noter que la carte de 2018 comporte une erreur : il n’y a aucune liaison entre la « Source n°1 » et le « Ru de la Nouelle ».
La carte Michelin – Éditions 1987 et 2015
- Crédits: Manufacture Française des Pneumatiques Michelin ©MICHELIN et Cie. Propriétaires-éditeurs. 1987
- Carte Michelin de 1987
- Crédits: Edition 12 – 2015 – Dressée par Michelin Travel Partner. ©2015 Michelin, Propriétaires-éditeurs.
- Carte Michelin de 2015
En 1987 la carte Michelin entérine également la source de la D130b, mais sans supprimer la « Fontaine de Val » [135]. Dans les deux cas, l’inscription est limitée au mot « Source » , sans autre précision reliant celle(s)-ci au fleuve Meuse. Cette représentation est toujours conservée sur l’édition 2015.
NB : sur l’édition 2015, le petit carré blanc et noir, au départ de chaque source, signifie qu’il existe un monument.
Les encyclopédies modernes
Celles-ci ne s’étendent pas sur la source de ce fleuve.
La grande encyclopédie Larousse, de 1991 et 1997, reste vague :
« […] La Meuse prend sa source dans le département de La Haute-Marne, au nord-est de Langres et coule vers le Nord […] ».
L’encyclopédie Universalis de 2002 ne donne pas la bonne altitude, ce qui laisse planer un doute quant à la désignation précise du lieu.
« La Meuse naît à 402 m [136] à Pouilly-en Bassigny […] ».
Daniel Polet - 2001
En 2001, après Marcel Thiry [137] et Roger Gillard [138] et surtout après l’officialisation de la source de la Meuse par l’abbé Justin Evrard, c’est à nouveau un écrivain belge, Daniel Polet, qui nous conte la Meuse dans son livre « La Meuse de la source à la mer » [139].
« Les enfances de la Meuse.
Le Rhône et le Rhin, grands seigneurs, jaillissent des cimes d’un glacier. La Meuse, elle, fleuve du Nord, pauvre et mystique, sourd modestement d’une petite fontaine sur le Plateau de Langres [140], dans le village de Pouilly en Bassigny, un pays à cheval sur les Vosges et la Haute-Marne. Un monument a été érigé à la gloire des trois pays qu’elle arrose : la France, la Belgique et les Pays-Bas.
L’érection de ce monument a perturbé à l’époque la vie tranquille de la haute vallée du fleuve. Plusieurs villages, en effet, revendiquaient la propriété de la source.
• C’est à Andilly qu’est située la véritable source : n’y a-t-il pas les fameux bains gallo-romains … ?
• Non, c’est sur le territoire de la commune de Parnot, à la fontaine du Val…
• Ce n’est pas exact, ce n’est ni à Andilly, ni à Parnot, mais à la Fontaine Saint-Sébastien [141].
• Non et non, c’est à Pouilly, à la limite de partage des eaux.
Que de palabres ! Pauvres instituteurs, contraints d’enseigner la géographie régionale ! Finalement, Pouilly-en-Bassigny fut sacrée « Source n°1 », en d’autres mots la plus éloignée de l’embouchure du fleuve en mer du Nord.
[…] ».
Remarque.
La syntaxe du dernier paragraphe peut prêter à confusion : ce n’est pas Pouilly-en-Bassigny qui fut sacrée « Source n°1 », mais la source située le long de la D130b. En effet, nous avons vu qu’il existe d’autres sources de la Meuse sur le bassin hydrographique de Pouilly.
Etude de définition pour l’aménagement écologique et touristique de la source de la Meuse - 2014
Cette étude a été commanditée par le syndicat hydraulique intercommunal de la vallée de la Meuse. Elle propose différents scénarii d’aménagement écologique et touristique, pour l’ensemble du bassin de Pouilly et pas seulement pour la source n°1, bien que celle-ci fasse l’objet de toutes les attentions.
Cette étude inclut également la Fontaine de Val, sur le territoire de Parnot, à la limite entre les deux communes. Pour répertorier toutes les sources concernées, l’étude a adopté la numérotation suivante :
• Source n°1 : source située le long de la D130b.
• Source n°2 : source située dans une cave d’une habitation privée, rue Maillouze.
• Source n°3 : fontaine de Val [142] donnant naissance au ruisseau de la Coudre.
Comme on peut le constater, la source située au nord de la rue d’Araize n’est pas citée, alors que, paradoxalement, cette étude [143] parle bien de l’ancien lavoir situé rue d’Araize [144]. Mais il fallait bien que ce lavoir disposât d’une alimentation en eau, et celle-ci n’était autre que la source [145] située en face, de l’autre côté de la rue.
Aussi, nous avons affecté le n°4 à la source située au nord de la rue d’Araize.
Xavier Van der Stappen - 2020
Comme nous l’avons expliqué plus haut, nos amis belges sont très amoureux de « leur » fleuve. Alors qu’aucun français n’a publié d’ouvrage complet sur la Meuse, c’est un quatrième [146] écrivain belge qui publie, à son tour, un superbe livre intitulé : « Mémoires de Meuse - Des sources à l’embouchure » [147]. Voici comment Xavier Van der Stappen décrit la source de la Meuse.
« A la sortie d’un village haut-marnais, au sommet d’une colline pelée, quelques rares arbres, des carrés de potagers, une stèle sombre, quelques inscriptions et des plaques de laiton. Une prairie dans laquelle une noria tourne au vent en grinçant. Un troupeau de génisses arpentant une herbe jaunie par le soleil. Un ciel brûlé, brumeux d’évaporation sous la chaleur exceptionnelle du mois de juillet. Un point de vue ouvert qui domine les collines avoisinantes.
La source naît d’un petit bassin permanent qui semble fuir la sécheresse ambiante faisant gémir les troupeaux. De la taille d’une bassine, l’eau apparaît comme par magie pour s’écouler le long de la route, tel un caniveau indigne de l’illustre fleuve Meuse ».
On ne manquera pas de noter que Xavier Van der Stappen emboîte le pas de ses prédécesseurs, avec une description un peu triste, empreinte de regrets.
Pôle d’équilibre territorial et rural du Pays de Langres [148] 2020-2021
Conscients du peu d’attractivité touristique qu’offrait le site de la source de la Meuse, les pouvoirs publics ont entrepris un chantier de rénovation et d’embellissement de ce lieu emblématique chargé de symboles. Les travaux devraient se terminer en 2021.
Cartographie du bassin hydrographique de Pouilly-en-Bassigny
On trouvera ci-après un relevé hydrographique de Pouilly-en-Bassigny (avec deux échelles différentes), conforme au relevé de la DDT d’aujourd’hui [149].
Comme déjà signalé précédemment, la carte IGN de 2018 comporte une erreur : il n’y a aucune liaison entre la « Source n°1 » et le « Ru de la Nouelle ».
- Crédits: Institut Géographique National - Géoportail - Annotations Jean Gallier
- Bassin hydrographique de Pouilly-en-Bassigny
- Crédits: Institut Géographique National - Géoportail - Annotations Jean Gallier
- Réseau hydrographique de Pouilly-en-Bassigny
- Crédits: Thierry DEFRAIN
- Le pont de la Meuse
Cette photo du pont de la Meuse, datant de 1976, a été prise en regardant vers l’amont.
Sur la plaque en marbre est inscrit :
« Le Châtelet-sur-Meuse [150].
Sous ce vieux pont le premier sur la Meuse réunion des deux sources de Pouilly.
D’ici par les prairies du Bassigny la Meuse part vers le nord la Belgique les Pays-Bas et la mer ».
On voit couler sous le pont les eaux des sources n°1 et n°2 [151], additionnées des eaux des fossés de drainage [152].
La sortie busée, à gauche, correspond à la sortie des eaux de la source n°4 [153].
Ici s’achève cette saga, mais la Meuse, le plus vieux fleuve du monde, continuera de couler tranquillement, sans doute encore plus d’un milliard d’années…
- Crédits: Jean-Claude Dormoy
- La source de la Meuse
Forum
Si vous avez des questions ou suggestions à propos de cet article, n’hésitez pas à aller sur le FORUM à la fin de ce document.
Remerciements
L’élaboration de cet article n’aurait pas été possible sans les informations et/ou documentations apportées gracieusement par les personnes dont les noms suivent et que je remercie très chaleureusement.
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