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Faïencerie des Auges à Langres, de Diderot à nos jours

Langres (52)
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Publié le 17 juin 2016 , par MARCOUT Renée, VAILLANT Arnaud dans L’art et l’eau

Les productions de faïence s’intensifient et se diversifient au XVIIIe siècle, un engouement destiné à répondre aux attentes d’une clientèle de plus en plus sensibilisée aux arts de la table en plein développement.
La région de Langres n’offre que deux centres de production de faïence mais seul celui d’Aprey, a connu une activité remarquable aussi bien par la qualité et la quantité de ses productions que par sa longévité. Quant aux fouilles archéologiques menées sur le site de la faïencerie des Auges, elles ont mis en évidence une production destinée à une clientèle plus populaire du XIXe siècle et ont livré, intacts, outillages et structures liées au processus de fabrication tels qu’ils sont décrits dans l’Encyclopédie.


L’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert offre une place de choix aux techniques de fabrication de la terre émaillée avec un article de huit pages publié en 1756 dans lequel sont scrupuleusement détaillées toutes les étapes de production depuis la sélection des terres jusqu’à la décoration des formes obtenues. Douze planches (étapes de fabrication et typologie) accompagnées de cinq pages descriptives viennent compléter la synthèse dans un volume publié en 1765.

Vue aérienne de la faîencerie

« Sous le nom de fayancerie l’on entend l’art de fabriquer des ouvrages faits en terre cuite, couverte d’émail, tels que des plats, assiettes, pots, écuelles, saladiers, jattes, fontaines, & toutes sortes de poteries fines : ce mot vient de l’italien faenza, en latin faventia, & en françois fayance, nom propre d’une ville d’Italie, d’où elle tire son nom, située entre Forli & Incola, sur la riviere d’Ancone, en Romagne, où fut faite la premiere fayance.
La premiere que l’on fit en France fut dans la ville de Nevers, par un italien, qui après avoir conduit & accompagné un duc de Nivernois, aperçut en se promenant la même espèce de terre dont on faisoit la fayance en Italie ; après l’avoir examinée & trouvée bonne, il en fit préparer & construire un four, dans lequel fut faite notre premiere fayance. On en fait un grand commerce en France & aux environs ; celles de Nevers, de Rouen, de Saint - Cloud sont très belles.
La fayancerie se divise en deux sortes ; la premiere est la connaissance de la terre qui lui est propre, & la maniere de la préparer ; la seconde est l’art d’en fabriquer toutes sortes d’ouvrages au tour & au moule, & la maniere de les enfourner & de les cuire.

De la terre propre à la fayancerie
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La terre propre à la fayancerie est une espece de terre grasse, compacte & pesante, qu’on trouve dasur le jaune, quelquefois rouge ; sa qualité est d’être très fine, de s’amollir, & même de se dissoudre dans l’eau, de faire corps & s’endurcir au four au point de faire feu, lorsqu’elle est frappée par l’acier le plus dur ; celle qui tient le milieu entre la glaise & l’argille est la meilleure, étant composée des deux especes, plus ou moins, à proportion qu’elle s’approche de l’une ou de l’autre (…).

Extrait d’une planche de l’Encyclopédie illustrant la préparation des terres.

La terre choisie est apportée des lieux d’où on la tire, on la met tremper avec de l’eau dans des bassins (…) faits exprès en terre, assez ordinairement près d’un puits, (…) pour éviter le transport de l’eau ; ces bassins peuvent être d’environ cinq à six piés de profondeur, d’une grandeur proportionnée à la quantité d’ouvrages qu’on a à faire, & dont le fond est souvent pavé en brique, tuile, carreau, ou pierre ; la terre humectée dans ce bassin pendant plusieurs jours, on l’y délaye avec des pelles & bêches, (…) bâtons, (…) autres choses semblables, ensuite un ouvrier en éleve l’eau avec le secours d’un sceau fiché au bout d’un bâton,(…) versant à mesure dans un tamis de crin ou de soie, (…) dont la finesse dépend de celle de la fayance, tenu & remué à mesure par un autre ouvrier. L’eau chargée de terre traverse le tamis, laisse après elle le plus grossier de la terre, & va se répandre par des rigoles dans des bassins très grands & étendus d’environ trois à quatre piés de profondeur, (…) creusés en terre .De la manière de fabriquer les ouvrages avant de les mettre au four. (…).

Extrait d’une planche de l’Encyclopédie montrant l’organisation de l’atelier.

Les ouvrages se divisent en deux espèces, les uns tournassés & les autres moulés. Les premiers étant ronds se font sur le tour ; les autres ovales, demi - ovales, barelongs, guillochés, échancrés, triangulaires, à pans, & de toutes sortes de formes, ainsi que les figures, vases, & autres ornemens à l’usage des poëles, & autres choses semblables, ne pouvant être mis sur le tour, se font dans des moules en plâtre faits exprès, & dans la forme convenable aux ouvrages.
La premiere se fait ainsi : la terre préparée, l’ouvrier la dispose en mottes de grosseur proportionnée aux ouvrages qu’il veut faire, qu’il manie & remanie plusieurs fois pour leur donner la consistence propre à prendre la forme convenable ; il les arrange ensuite autour du tour pour les travailler l’un après l’autre ; ceci fait, il monte sur le tour, (…) s’assied sur le banc (…) après y avoir placé une espece de coussin. Assis un peu vers la droite du tour, il appuie son pié droit sur la planche (…) pour se soutenir, & de l’autre pousse la roue (…) du tour à grands coups & à différentes reprises, jusqu’à ce qu’elle ait un mouvement rapide, qu’il continue toujours d’entretenir pendant la façon de l’ouvrage (…). Il faut observer de ne point trop laisser sécher les ouvrages, ce que l’on peut éviter en les couvrant de linges mouillés (…).
Pour parvenir à faire cuire le cru, il est deux manieres de l’enfourner, l’une avec gazette, & l’autre en échappade ou chapelle. La premiere se fait en cette maniere : on a soin d’avoir des gazettes, (…). »

Le four de la faïencerie des Auges

Le four (dimensions hors tout : 4,30 mètres sur 4,70 mètres) qui a été installé dans la partie Est de la construction accolée au bâtiment préexistant, appartient à la lignée des fours à tirage vertical à flamme directe, en demi-cylindre couché. Ce type de four est relativement simple : un foyer (chambre de combustion) est situé sous un laboratoire (chambre de cuisson) lequel est traversé par les flammes qui s’échappent en haut par la cheminée. Il est dit en deux cylindres couchés par ses chambres voûtées, les flammes pénétrant du foyer dans le laboratoire par une série de petites ouvertures appelées carnaux.

Le four d’une faïencerie tel qu’il est représenté dans l’Encyclopédie.

Encavé jusqu’au niveau de la sole du laboratoire, le four présente en l’avant une vaste fosse quadrangulaire qui permettait le chargement et l’alimentation du foyer en combustible.

La fosse de service

Cette fosse longue de 2,60 mètres large de 2,40 mètres à 2,55 mètres et profonde de 1,75 mètre, présente un appareil de moellons équarris irrégulièrement de dimensions très variées (0,15 à 0,40 mètres par 0,07 à 0,12 mètres). Les éléments sont disposés en assises régulières, d’épaisseurs inégales avec mortier de chaux et joint beurré.
L’accès au fond de cette fosse, constitué d’argile damée au marchage, se faisait par un escalier droit (en pierre de taille) à deux volées limitées par un repos, établi contre sa limite Ouest. L’emmarchement supérieur formé de trois longues marches mène à un palier de plan rectangulaire (2,20 mètres sur 1,20 mètre) et au sol d’argile damé lors de la transformation en exploitation agricole. Après 1875, il desservait une autre salle, la tournerie située immédiatement à l’Est dans le bâtiment originel de la manufacture.

Le foyer

Le four est constitué d’un alandier en forme de bouteille (3,60 mètres sur 0,80 mètre à 2,50 mètres, pour une hauteur de 1,65 mètre) dont le fond est simplement en terre tassée non revêtue. Ses parois, faites d’assises de brique (module 5,5 sur 11 sur 22 centimètres) liées à l’argile, présentent de fortes traces de rubéfaction, témoin d’un usage fréquent. Dans le mur Ouest de cet alandier s’ouvrent deux bouches superposées : On procédait à la mise à feu du combustible par la bouche inférieure, qui a conservé son volet métallique de fermeture – celle de dessus étant fermée – et on augmentait progressivement la quantité de bûches jusqu’à ce que le feu ne produise plus de fumée, fasse de la braise et atteigne une température suffisante, que les chaufourniers reconnaissaient à l’œil.

Cette première phase devait surtout produire de l’air chaud, destiné à faire évaporer lentement l’eau jusqu’à une température d’environ 400 à 500°. Elle se faisait à l’aide de gros bois, ou tout autre combustible, produisant des flammes courtes. On fermait alors la bouche inférieure, et l’on jetait du bois de cordes jusqu’à obtenir une température d’environ 700° puis du bois plus menu, souvent du fagot à combustion rapide, par la bouche supérieure et plus vers l’avant du foyer de manière à produire beaucoup de flammes longues. Il fallait éviter toute irrégularité et assurer une montée en température constante, tout en veillant à ce que la chaleur se répartisse dans l’ensemble du four d’une manière égale grâce aux différents moyens de réglage du tirage.

Vue du foyer du four

En arrière du foyer, dont le fond est simplement en terre tassée non revêtue, s’élève après un dénivelé total d’une quinzaine de centimètres, un mur déflecteur de 45 centimètres de hauteur pour une largeur de 22 centimètres, constitué, comme pour le chemisage de l’alandier, d’assises de briques (module 5,5 sur 12 sur 22 centimètres) liées à l’argile. Ce mur déflecteur marque la transition vers une cuvette de forme rectangulaire (2,5 sur 1,8 mètres) surélevée de 0,40 mètre environ par rapport au foyer, et constituant l’arrière foyer ou chambre de chauffe. La présence de gouttes d’émail vitrifié sur ce bassin indique qu’il a servi à la fabrication de la « frite » destinée à l’émaillage. Le chemisage de brique employé tant pour le foyer que pour le laboratoire laisse apparaître un décalage des joints visant à accroître la solidité des murs.
La chambre de chauffe est couverte d’une voûte de briques assisées en berceau – anse de panier- supportant le dallage (la sole) de l’espace sous-jacent, le laboratoire ou chambre de cuisson. Cette voûte et la sole sont percées de conduits (ou carneaux) permettant l’acheminement des gaz chauds.

Le laboratoire

Il présente un plan proche du carré (4,70 sur 4,40 mètres extérieur, 2,80 sur 2,70 mètres en intérieur pour une hauteur conservée de 5,20 mètres. La sole du laboratoire est de plain pied avec le terrain environnant et les briques qui en constituent le dallage sont identiques (module de 5,5 sur 11 sur 22 centimètres) à celles utilisées pour l’habillage intérieur du foyer et du laboratoire. La partie haute du laboratoire était barrée de quatre arcs surbaissés en brique, larges de 0,50 mètre pour un rayon de 0,90 mètre flanqués de carnaux larges de 0,12 mètre environ ; on en observe plus que leur naissance sur les parois Sud et Nord. Au sommet du four, un conduit de cheminée aménagé dans une voûte en arc de cloître construite en briques assisées en tas de charge devait accentuer le tirage, rassemblant les gaz chauds après leur passage à travers les carnaux de la voûte du laboratoire. La hauteur originelle du laboratoire est estimée à 10 mètres.

Porte d’enfournement de l’étage supérieur du laboratoire.

Trois ouvertures donnent accès à ce laboratoire : deux baies ménagées dans le mur Est du four (les deux à l’opposé de l’alandier) autorisaient son chargement et un fenestron à encadrement de pierre de taille (hauteur 0,40 mètre et largeur 0,35 mètre ouvert dans la façade Ouest à hauteur des carnaux établis entre les arcs surbaissés en briques que surplombaient le laboratoire et muni d’un tampon mobile), permettait de contrôler la cuisson. Les deux baies, aux piédroits appareillés en pierre de taille, sont au même aplomb et au même mur, mais elles diffèrent toutefois par leur hauteur et leur mode de couverture : l’élément bas (hauteur 2 mètres, largeur 0,70 mètre, profondeur 1 mètre) est couvert d’un linteau plat tandis que l’élément haut (hauteur 2,25 mètres, 0,70 mètre de profondeur) est surmonté d’un arc surbaissé en briques. L’accès à la porte d’enfournement supérieur se fait par un escalier tournant à deux volées droites établi au droit du mur et du laboratoire. La volée basse ne comporte que deux marches de pierre tandis que la volée haute en compte quatre complétées par trois marches d’arrivée en planches. Le chargement du laboratoire effectué, ces deux portes étaient murées avec des briques.

Coupe longitudinale et plan du four de la faïencerie des Auges

Le laboratoire présente une construction entièrement appareillée : on ne note pas de fourrure dans l’épaisseur des murs mais une liaison en besace entre la maçonnerie en briques de 5,5 sur 11 sur 22 centimètres présentant un certain nombre de points de dilatation (espace laissé libre de mortier) et un parement extérieur en pierre. On distingue un blocage de maçonnerie de chaux revêtu d’un enduit de chaux maigre pour les murs Est, Sud et Nord, et un appareil en pierre de taille pour le mur Nord. L’épaisseur des murs varie suivant les côtés 0,60 mètre à l’ouest, 0,70 mètre au Nord, 1 mètre pour le mur Est qui est percé des baies de chargement et 1,20 mètre pour le mur Sud.
L’intégration de ce four dans un bâtiment agrandi s’est fait en réutilisant partiellement ce qui avait été le mur gouttereau Nord de la fabrique initiale. Cela induisit l’ancrage au mur Sud de la chambre de combustion sur ce mur gouttereau la plus grande épaisseur qui lui fut donnée relativement aux trois parois.
L’agrandissement de l’usine à faïence a été conçu pour répondre aux exigences de fonctionnement de ce nouveau four. Les planches des étages sont désolidarisées afin de ne pas subir le contrecoup de la dilatation/rétractation. Seules les poutres supportant les planchés reposent sur des corbeaux de pierre ancrés dans la maçonnerie des murs Sud, Est et Nord du four. Les arêtiers de la charpente prennent également appui sur des pilettes de briques construites sur la voûte du four.

L’émaillage  :

Après la description des éléments constituant le four, il apparait nécessaire de parler de l’émaillage. Le biscuit est trempé dans un bain d’émail finement broyé qui se compose de calcine à base de plomb et d’oxydes d’étain cuite, que l’on mélange à la « frite » composée de silice (sable) et de fondants (sel) qui abaissent la température de fusion.

La décoration au grand feu

La technique du grand feu qui est utilisée à Langres ne permet que cinq couleurs obtenues à partir d’oxydes métalliques : le cobalt pour le bleu, le manganèse pour le violet-bleu, le cuivre pour le vert, l’antimoine pour le jaune et éventuellement le fer pour le rouge toujours difficile à obtenir.

La cuisson de l’émail et du décor

Recouvertes de leur émail en poudre et décorées ou non, les pièces sont à nouveau sèchées puis cuites au grand feu (environ 950°). La cendre ayant gâtée l’émail de ses faïences, Bernard Palissy (vers 1510-1589) avait inventé de les enfermer dans des cylindres de terre cuite que nous nommons « gazettes ». Les pièces de platerie sont enfermées dans ces cylindres en terre cuite percés d’une série de trous triangulaires, répartis sur trois colonnes verticales où sont introduites des pernettes (prismes triangulaires à arêtes aigues en terre cuite) qui supportent les pièces.

La technique du petit feu

Elle peut également être utilisée ce qui ne semble pas avoir été le cas à Langres. Alors que dans le grand feu, le biscuit reçoit l’émail et le décor qui sont cuits ensemble à 950°, dans le petit feu, le décor apposé sur un émail déjà cuit préalablement subit une nouvelle cuisson spécifique à une température inférieure d’où le nom du procédé. Par contre, outre l’inconvénient d’une cuisson supplémentaire, les couleurs sont bien moins intégrées à l’émail.

Conclusion

L’ensemble du site de la faïencerie des Auges a conservé de façon très lisible les témoins de la fabrication de la faïence en particulier le four : Encore en élévation, il est le seul existant en Champagne-Ardenne et probablement en France. IL est, à ce titre, inscrit à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques depuis 1986.

Schéma des espaces extérieurs de la faïencerie
Texte et Documents parus dans le catalogue Remp-Arts 2013.

L’eau au Faubourg des Auges
Texte extrait du bulletin de la SHAL n°284 page 518, rédigé par M.Georges Viard.
"Aux Auges, les eaux sourdent de toutes parts dans les jardins des particuliers. Le long de la route nationale, à droite en descendant, la fontaine a résisté au temps. Dédiée par les habitants du faubourg à Saint-Nicolas, [dans les textes anciens, on ne l’a désigne que sous le nom de fontaine des Auges].
Au début du XVIIe siècle, un lavoir y avait été aménagé, on l’aperçoit en contrebas de la route."

Mis en ligne par Annita Fourtier

Dans le glossaire :
potentiel hydrogène

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Lat: 47° 51' 51.22" N
Lon: 5° 20' 07.14" E
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