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Le vieux lavoir de « Montlétang »

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Publié le 7 juillet 2018 , par GOUTELLE Annie dans L’art et l’eau

« S’il te plaît, arrête-toi ! »
J’ai brusquement saisi le bras de mon mari. La voiture quitte Bourbonne et roule en direction de Coiffy. Le lavoir ! Je ne rêve pas, le lavoir de Montlétang est toujours là !


Plan de situation du lavoir de Montlétang à Bourbonne-les-Bains. Geoportail .

Vue aérienne. Geoportail.

Le lavoir de Montlétang

Je cours plus que je ne marche vers ce toit familier. La grande bâtisse de pierres grises apparaît tout entière à mes yeux étonnés.

Comment aurais-je pu oublier ? Des larmes chaudes et incontrôlées glissent sur mes joues. Au contact des dalles, mes pieds foulent un sol connu, mes mains glissent sur les murs dans une caresse tendre et incrédule. Je touche les piliers de fonte ornés de fleurs, de feuilles qui soutiennent la charpente. Des flots de souvenirs, vieux de presque trente-cinq années, resurgissent de ma mémoire.

Oh maman ! Ma douce petite mère !

Quand nous n’avions pas classe, nous t’accompagnions mes sœurs et moi au lavoir. Chaque jeudi matin, nous remontions la rue Vellonne jusque chez M. Chevallier, le jardinier ; puis, laissant à notre droite le chemin de la Grandvoie, refuge secret des premières violettes, nous prenions un petit sentier de terre juste assez large pour le passage d’une charrette. Claude poussait le landau de notre petit frère. Cinquante mètres avant Montlétang nous parvenaient le martèlement sec des battoirs et les bavardages qui allaient bon train. Le lavoir était bruyant comme une volière.

Arrivées au-dessus des trois marches d’escalier qui menaient aux bassins, nous t’aidions à sortir ta lessive et ton ballot de linge sale.

Il y avait là Adèle, la Guitte et Mme Avril dont le nom faisait rêver au printemps et aussi ton amie Delphine qui gardait toujours une bonne place à la « petite mère » comme elle te nommait affectueusement.

Tu installais ta vieille caisse de bois garnie de paille blonde et armée de ton gros savon de Marseille, de ta brosse de chiendent et du battoir usé, tu t’agenouillais au bord du bassin.

Juchées dans les niches des grandes fenêtres murées, nous étions attentives à tout : le savon qui glisse et échappe à la main vigilante, le linge qui fuit au fil du courant et que l’on récupère avec une perche.

J’étais émerveillée par la danse frénétique de toutes ces mains. Pas une tache qui résista à la brosse blanche de mousse.

Sur les rinçoirs, les femmes avaient tendu une grande toile qui empêchait le linge de toucher le fond et on y lançait les pièces à rincer.

L’eau alimentant le lavoir provenait d’une source de l’autre côté de la route. Elle coulait en permanence à la gouliche d’une fontaine creusée dans le mur et surmontant un puisard. On y venait boire à pleines mains.

De temps en temps, un fontainier venait nettoyer les bassins. Il coupait l’eau, vidait les deux cuves et les trois rinçoirs et, armé d’un balai de chiendent, il brossait vigoureusement les parois et le fond. Sa tâche finie, il rendait à l’eau sa libre circulation et elle jaillissait, claire, avec des gargouillis heureux.

C’est ce brave homme qui un jour retrouva vers la grille d’évacuation des eaux le cher anneau d’or qui avait glissé de tes doigts savonneux. Tu avais poussé un cri et beaucoup pleuré, désespérée. C’est Delphine qui en parla au fontainier avant le curage et elle te le rapporta, les joues roses de plaisir et d’une émotion non dissimulée. Tu l’embrassas très fort avec des larmes de joie et tu glissas l’anneau à ton doigt le cœur battant.

Le jour de lessive des lavandières de métier, blanchisseuses qui lavaient le linge des hôtels et des restaurants de Bourbonne, était jour de fête pour nous.

Elles tendaient entre les poteaux de bois qui jalonnaient le pré de grosses cordes qu’elles fixaient solidement. Dès la fin, elles séchaient les cordeaux qui étaient ensuite enroulés sur des planches.

Quelle merveille que ces grands draps immaculés claquant au vent comme des voiles de navires. Cela formait un immense labyrinthe où nous nous perdions avec délice. Bras étendus comme des oiseaux, nous remontions en riant ces allées mouvantes, fouettées parfois par la gifle humide et froide d’une nappe ou d’une serviette.

Malheur à celui qui posait une main crasseuse et sacrilège sur la pâleur d’un drap car nous étions assurées de vifs reproches et même d’une bonne « râclée » si notre mère était là.

« Méchantes que vous êtes, il faut tout recommencer, vous me ferez mourir ! »
Frappées jusqu’au fond du cœur par ces derniers mots, nous restions muettes, sans larmes, figées de honte et de regrets.

Notre calme pourtant était de courte durée et nous reprenions nos jeux : « C’est toi l’chat ! ». Pauvre chat qui avait fort à faire pour attraper les demoiselles souris qui s’éparpillaient dans la prairie avec de grands rires moqueurs.

Ces petits bouts de femmes-là étaient déjà libérés ; mais, du haut de nos huit-dix ans, nous ne le savions pas...

Demain il faudrait reprendre le chemin de l’école, attendre une longue semaine avant de retourner à Montlétang, rendez-vous des garnements comme des petites filles sages.

Cher vieux lavoir ! Je suis là aujourd’hui, juchée comme autrefois sur le muret où couraient les lézards dorés, je n’ai plus huit ans, ni même vingt, et comme le font les vieilles personnes, déjà je m’attache si fort aux souvenirs.

Texte et crédits photos : Annie Goutelle.
Mise en ligne : James Goncalves.

Si vous désirez en savoir plus sur l’histoire de ce lavoir cliquez sur ce lien : http://www.bourbonne.com/municipal_htm/pdf/bull_2009.pdf page 51

Dans le glossaire :
potentiel hydrogène

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